LAISSEZ BRONZER LES CADAVRES de Hélène Cattet et Bruno Forzani

Sous le soleil exactement. Un village en ruine, ancien lupanar hanté par une proprio volage, un écrivain alcoolique, un avocat un peu trop nerveux. Des hôtes agités de la gâchette. Un braquage sanglant. Deux flics par l’odeur du sang alléchés. 250 kilos d’or. Du stupre. Des armes. Du cuir. Beaucoup de cuir. Tellement de cuir.

Jean-Patrick Manchette exulte d’aise

Tout ce qu’une adaptation devrait être. Non content d’avoir réglé son compte au giallo dans Amer et L’Etrange Couleur des Larmes de ton Corps, le duo Hélène Cattet / Bruno Forzani s’attaque à présent au polar français des années 1980, époque chérie où la comédie ne régnait pas encore de façon dictatoriale sur l’industrie. Leur intimidant travail formel ne se calme pas pour autant. De nouveau, la réalisation fourmille d’idées barjos exécutées avec aplomb, la précision chirurgicale du sound design rend fou, la lumière et les cadres caressent la rétine en un long orgasme. Cattet et Forzani auraient pu se contenter de passer du fétichisme de l’arme blanche à celui des armes à feu, et laisser leur radicalité esthétique faire la blague. Ce serait mal appréhender leur style, bien au-delà de la simple référence ou du pesant hommage. L’essentiel n’est pas de s’emparer de la matière, mais de la malaxer, la pétrir avec toute l’inventivité nécessaire pour la plier à une approche charnelle de la matière cinématographique.

Stéphane Ferrara en pleine golden shower

Mieux qu’une adaptation étonnamment fidèle du court roman de Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid, Laissez Bronzer les Cadavres en est une exaltation furieuse. Un râle de jouissance tout autant qu’un « Mort aux vaches » asséné avec un mauvais esprit jubilatoire – le film se conclut par le meilleur jeu de mot visuel de mauvais goût depuis le fameux « giving head » de Re-Animator. Le roman se posait sur la longueur en pure figure de style ironique autour d’une intrigue totalement lambda, le film de Cattet et Forzani dynamite son apparente linéarité narrative de toute part, qui de flashbacks lascifs, de fantasmes transgressifs, de mises à mort figurées de façon allégorique. Laissez bronzer les cadavres ose sans cesse, manque trébucher sur sa générosité graphique inouïe mais ne s’excuse jamais. Il dégaine le casting le plus dément de la décennie pour un film français, trouve une complémentarité évidente entre Elina Löwensohn, muse de cinéastes arty barrés, et Stéphane Ferrara, trogne crispée du polar 80 revenue brûler l’écran une dernière fois. Certains effets désarçonnent, certaines scènes semblent too much, la cohérence fulgurante du tout finit par donner naissance à l’un des plus saisissants plaisirs de spectateur de l’année. Difficile de faire plus chaos.