LOVE EXPOSURE de Sono Sion

Yu désespère d’attirer l’attention de son paternel, curé catholique assombri par le veuvage. Histoire de corser ses confessions, ces derniers moments partagés avec son père, il bascule dans le péché et finit par intégrer un gang de mauvais garçons qui le forment au tosatsu, l’art de la photographie sous les jupes des filles. Yoko vomit son image de fantasme sur pattes en uniforme d’écolière. Misandre et fière de l’être, elle ne manque jamais une occasion de hurler en pleine rue ou de tabasser le premier garçon qui passe, sans réelle raison. Sa rencontre avec un cosplay de Sasori – La Femme Scorpion va bouleverser son existence dépressive. Koike, petit génie du mal, castratrice littérale, dealeuse de cocaïne, grande manipulatrice en chef de la secte Zéro, observe assidûment ce beau monde et fomente un plan déviant pour tous les rallier à sa chapelle. Détendez-vous, ça dure quatre heures, mais dans l’absolu, ça passe plus vite qu’une comédie française d’1h30.

L’église du mouvement zéro

Ecce le pinacle Chaos absolu de Sono Sion, la quintessence renversante et bouleversante de son cinéma. Comme dans son premier chef-d’œuvre, Noriko’s Dinner Table, l’auteur s’inspire de son vécu fracassé (les récits d’un ami adepte du tosatsu, sa propre expérience au sein d’une secte revancharde, qu’il a rejoint, du temps où il était SDF, pour pouvoir bouffer), autour duquel il brode une intrigue à la fois sombre et délirante, pleine d’une rancœur adolescente contre cette société imbécile dépassée par ses dogmes hypocri-teuh. Sa représentation d’un âge d’or, d’une jeunesse encore capable de se rebeller atteindra une apogée de plus en plus grotesque dans Himizu et Tokyo Tribe ; ici, la vision maintient vaillamment le cap de son opposition à la génération précédente, marquée par un patriarcat à la dérive qui corrompt, sexualise et prostitue ses propres gosses faute de pouvoir assumer ses responsabilités.

Le poids du patriarcat

Idéal de teen movie déviant sur le fond, Love Exposure transcende son discours et ses attentes dans la forme. Sono Sion parfait l’approche « littéraire » de la narration qu’il avait développé sur Noriko’s Dinner Table. Usage de la voix-off pour accompagner les déambulations de ses personnages, montage saccadé pour accentuer les scansions dialoguées, découpage en chapitres échos, le dispositif acquiert ici une fluidité rêvée, cruciale pour porter l’action au long de quatre heures insensées en termes de rebondissements, d’évolution des personnages, de densité dramatique et thématique. Au-delà de son apport essentiel à cet objet film mutant, le procédé apporte un plaisir immense de spectateur que seuls les plus grands auteurs de fiction parviennent à caresser – la tristesse et la frustration d’abandonner subitement un personnage au profit d’un autre s’estompent en une poignée de minutes, happés que nous sommes dans un autre flux narratif tout aussi passionnant.

Une ambiance des plus délétères sur le tournage

Les plus grands films de Sono Sion (Noriko’s Dinner Table, Strange Circus, Cold Fish, Guilty of Romance) sont des montagnes russes émotionnelles, les odyssées de personnages troublés dans des mondes visant insidieusement leur perte ; des montées en puissance vers des climax atroces, traumatiques. Ses films cultes pour de mauvaises raisons (Suicide Club, Tag, Tokyo Tribe, Why don’t you play in hell ?) tournent en rond autour de scènes choc, dont la violence iconisée se complaît dans une surenchère anesthésiant la réception de tout ce que le film pourrait offrir. Love Exposure tranche par rapport à ces deux approches, incorporées avec grâce dans un ensemble qui est son plus grand effet spécial. Extrême par sa durée, ses traitements à la fois frontaux et délicats de sujets tabous, le film climaxe sur une scène d’une sublime simplicité, où l’actrice principale, les larmes aux yeux, déclame l’Epître aux Corinthiens à son geôlier.

Les Corinthiens

Porté par un idéal de fiction démesuré, Sono Sion a senti ce film monstrueux lui échapper au fil de sa confection. Il a réécrit le script à même le plateau, jeté des pages et des pages, coupé entre une à deux heures de scènes selon les versions. Il a transféré, comme tous les démiurges pas très nets, le poids de son ressentiment sur son actrice principale, poussée dans ses derniers retranchements pour ne devenir plus qu’une boule de colère et de tristesse insondable. En l’état, Love Exposure est loin d’être parfait, certaines scènes tombent à côté et vous savez quoi ? Tant mieux. Le film sort bizarrement grandi de ce déséquilibre, de sa frénésie, de son contrôle de freaks sur la verge constante de la sortie de route. Quatre heures de fiction totale, d’une foi absolue en la toute puissance cinématographique, d’un amour inconditionnel pour ses personnages. Bien sûr que vous avez le temps pour ça, arrêtez de vous mentir.