THE OA – saison 1

Encore dix jours à tirer de cette année, et Netflix ne pouvait s’empêcher d’asseoir une dernière fois son emprise sur nos vies avec cette surprise du chef, idée aussi suicidaire que merveilleuse : une série conçue par le très particulier binôme Brit Marling / Zal Batmanglij.

Elle, actrice au visage diaphane, presque éteint, beauté dure et doucettement inquiétante dont le jeu évoque une intelligence extraterrestre supérieure aux commandes d’un cyborg qui tenterait, entre deux regards tristes, de comprendre comment l’humanité en est arrivée là. Lui, metteur en scène au rythme très posé, flottant, ascète esthétique doté d’un instinct magistral pour faire vivre des personnages complexes à partir de rien, littéralement. Ensemble, le duo crée une œuvre dont les huit épisodes de The OA constituent l’apogée fragile, naïve, facile à rejeter en bloc pour qui n’a pas la patience de s’abandonner à son rythme ouaté et ses ruptures audacieuses, sublime une fois acceptés ses principes de fiction brillamment déployés.

Le climax final, totalement clivant

Dans Sound of my Voice, leur premier long-métrage en date de 2011, le personnage de Brit Marling prétend venir d’un futur ravagé, débarquée en secret pour guider l’humanité – du moins un petit groupe de croyants – dans la bonne direction. Un jeune couple de documentaristes infiltre le culte et succombe au peu à peu à l’emprise de cette étrange gourou. Lo-fi au point que sa direction artistique pourrait se résumer à un code couleur, le film porte en lui toutes les thématiques de The OA : la croyance en un récit tout puissant, la distinction entre spiritualité et mysticisme qui en découle, la tension psychologique galopante entre plusieurs visions du monde… tout passe par les dialogues, les interactions entre des personnages jamais figés, toujours ambigus, ou encore dans de discrètes chorégraphies, intrigant gimmick in fine crucial.

La secte de Sound of my voice

En comparaison, The East (2013), leur film suivant, ressemble à un blockbuster. Pensez donc : un récit ambitieux découpé en une multiplicité de climax, les frères Ridley et Tony Scott à la production, un casting réunissant Ellen Page, Alexander Skarsgard, Patricia Clarkson ou Julia Ormond autour de Brit Marling qui cette fois-ci, se retrouve dans le rôle de l’infiltrée, au sein d’un groupuscule anarcho-écologiste pour le compte d’une firme privée. Alors que les membres de The East enchaînent les coups de force contre des multinationales coupables de malversations meutrières, la taupe remet en cause ses principes et en vient à se demander quel est le bon côté de la barrière. Sur des résonances parfois un poil trop évidentes (COUCOU Julian Assange, regarde comme c’est pas bien de mettre des espions en danger !) mais traitées de façon inédite dans cette zone grise entre le divertissement et le cinéma d’auteur, Zal Batmanglij ne brusque pas sa mise en scène, demeure toujours au plus près de ses personnages et délivre, de fait, le meilleur hommage possible aux thrillers américains paranoïaques des années 1970 : le suspense provient autant des sursauts de l’intrigue que de l’évolution des personnages face à celle-ci.

Avant de concrétiser ce projet imaginé dès 2012 avec Zal Batmanglij, Brit Marling lui fait une infidélité en devenant la muse du réalisateur Mike Cahill, taraudé par les mêmes envies d’un cinéma de genre différent, où l’effet spécial le plus important serait le scénario. Las, lestés de surplus mélodramatiques envahissants, les curieux Another Earth et I Origins échouent à devenir des étoiles et stagnent au niveau satellitaire.

Des sociétés de production plutôt circonspectes

La jeune légende veut que Brit Marling et Zal Batmanglij aient démarché maintes sociétés de production en leur racontant le déroulé de la première saison de The OA in extenso, jouant tous les personnages, améliorant leur histoire et surtout la façon de la raconter à chaque entrevue successive. L’anecdote souligne le caractère délicatement barjo et pénétré des deux auteurs, et se pose surtout comme la meilleure note d’intention d’une intrigue bâtie pour moitié sur le récit du personnage principal, Prairie Johnson, alias Nina, alias The OA au fil des différentes étapes de sa vie, jeune fille aveugle mystérieusement disparue pendant sept ans, rendue à sa famille saine, sauve… et voyante. En retrait d’une communauté qui ne demande qu’à s’imprégner de son statut de miraculée, elle va fédérer autour d’elle cinq personnalités troublées, cinq âmes en peine à des stades cruciaux de leur existence auxquelles elle va raconter l’incroyable histoire de sa vie.

Peut-être encore plus que Sound of my Voice et The East, dont elle reprend les interrogations majeures et les dispositifs scénaristiques avec un culot affirmé, The OA demande un abandon total du spectateur. Sa foi dans le romanesque sera régulièrement testé à la grâce de visions étranges, grotesques, qu’il serait tentant de balayer d’un revers de la main au nom de nos foutues habitudes de confort narratif, malmenées tant par des caractérisations judicieusement en pointillés que par des virages inattendus. Lorsque Prairie Johnson démarre son récit à la fin du premier épisode, le plus frondeur de ses cinq auditeurs se lève brusquement, interloqué par sa toute première phrase et la tournure que prend sa soirée. « WAIT, WHAT ??? ». A l’invitation silencieuse mais ferme de ses camarades, il se rassoit vite, se tait et écoute.

The OA requiert le même minimum d’attention. Il faut passer le cap de l’incrédulité face à ce rythme languissant, caractéristique de Zal Batmanglij. Il faut accepter ce brassage de plusieurs tonalités, de plusieurs genres téléscopés avec la candeur des premiers conteurs, ce casting déroutant, incluant aussi bien la merveilleuse chanteuse Sharon Van Etten dans son premier rôle que Paz Vega, Riz Ahmed, le génial Jason Isaacs, ou encore Phyllis Smith, actrice amateure de troisième plan dans The Office US réinventée ici en grande actrice tragique.

Peut-être encore plus que Sound of my Voice et The East, cette création unique de Brit Marling et Zal Batmanglij peut rebuter. Les climax de fin d’épisodes 5 et 8, racontés tels quels et hors contexte, peuvent notamment paraître ridicules. Pour le spectateur qui aura eu le plaisir d’accrocher à la proposition, il s’agira en revanche des moments parmi les plus somptueux de l’année 2016. Personnellement, c’est chaos total et team chair de poule.