BLIND SUN de Joyce Nashawati

Ashraf surveille la villa grecque d’un riche couple de Français. Le job de rêve sans compter la chaleur caniculaire, l’hostilité des autorités envers les immigrés, cette petite ambiance d’émeute qui couve. Ankylosé par la chaleur dévorante, Ashraf commence à entendre des bruits étranges dans la maison, à ressentir une présence qui l’observe. Le soleil n’en finit plus de cogner. L’eau devient une denrée rare,contrôlée par une mystérieuse compagnie… Diantre, aurions-nous signé sans le savoir pour un Mad Max lo-fi ? Naaan, il s’agit plutôt d’un cousinage méditerranéen de l’Australie dépeinte dans The Rover, un territoire perdu, bientôt abandonné par ses derniers sursauts d’humanité. L’idée de ce premier long-métrage remonte à l’été 2008. Joyce A. Nashawati se trouve sur une plage non loin d’Athènes. « Comme souvent l’été en Grèce, il y avait un feu de forêt pas loin, des cendres se déposaient sur la plage. J’étais troublée par le contraste entre le côté enchanteur du lieu et cette ambiance de fin du monde que la lumière, le ciel dégageaient à cause du feu. » Ce goût de la sensation suspendue dans un entre-deux bizarre se retrouvait déjà dans ses courts-métrages, trois propositions de fantastique sensoriel dont Blind Sun constituerait le prolongement semi autobiographique, puisque la réalisatrice y filme les paysages solaires de son adolescence. Passé un montage financier franco-grec compliqué et des repérages ronge-tête pour figurer les terres arides de son récit, Joyce A. Nashawati entame le tournage confiante et enthousiaste, fièrement épaulée du grand directeur de la photographie Yorgos Arvanitis, coutumier des spécificités du soleil de Grèce. Ensemble, le binôme crée des images d’une beauté fulgurante pour accompagner la languide plongée dans la folie de leur personnage principal.

La Grèce, un peu mise à mal ces dernières années

Blind Sun est la somme miraculeuse de ces bonnes volontés, prêtes à surmonter les vicissitudes de tournage dans un pays en pleine crise économique majeure. Forcément, la situation de la Grèce résonne du postulat science-fictionnel, pré-apocalyptique décrit dans le film, même si telle n’était pas l’intention de la réalisatrice, pour qui l’Histoire récente a de toute façon dépassé la fiction. « La réalité est beaucoup plus compliquée que mon film, qui est une fiction mentale et sensorielle. Après les projections, là-bas, certains spectateurs m’ont dit qu’en Grèce on ne traite pas les réfugiés comme dans le film, que les Grecs ne sont pas cruels… La proximité avec l’actualité crée des réflexes chez le spectateur qui le font sortir de la zone fiction, et de sa liberté. » La tentation d’interpréter Blind Sun à l’aune de cette seule fausse piste narrative est grande, aussi grande que celle de relier les prouesses pyrotechniques de grosses productions américaines récentes à la tragique actualité, mais ça n’en reste pas moins une lecture dommageablement limitée. Une anesthésie des sens au profit d’un sens imposé, là où l’intention recherchée est visiblement d’ouvrir le spectateur à d’autres sensations, fussent-elles difficiles à circonscrire à leur réception immédiate. Il faut se méfier des œuvres fermées, qui se donnent sans filtre en excluant toute autre lecture. Le caractère déroutant du cinéma de Joyce A. Nashawati se nourrit de zones d’ombre, d’inexpliqués à même d’élever l’expérience au-delà de son apparent dénuement. Un film à la fois grec et français, littéral et abstrait, dans son époque et hors du temps. « Je ne voulais pas qu’on sente la période à laquelle se déroule le film. Ça fonctionne par soustraction. Pas de pancartes, de voitures, de vêtements contemporains. Le côté suranné du personnage est peut-être dû à un code archétypal, l’étranger solitaire qui débarque dans une nouveau lieu. » Entre le western et la fable SF, le cœur est toujours libre de balancer.