Entretien réalisé au NIFFF en juillet 2015.
J’ai vu mon premier épisode des X-Files en 1994, à 19h, la fameuse première apparition d’Eugene Tooms, et je me rappelle m’être demandé à l’époque si on avait vraiment le droit de montrer ça à la télévision… Aviez-vous conscience de la révolution que le show représentait pour les chaînes de grande audience ?
Non, pas du tout. Nous travaillions tellement dur que nous ne pouvions pas nous rendre compte de l’impact que ça allait avoir, ou que ce projet aurait une ampleur telle que je me retrouverais à en parler ici, 23 ans plus tard. On n’y pense pas. Et si on y pense, c’est qu’on place son énergie au mauvais endroit. C’est drôle, on pourrait penser que j’ai répondu à toutes les questions sur le sujet et que j’en ai marre, mais rien qu’aujourd’hui, j’ai été interviewé toute la journée et chaque question offre une nouvelle perspective. Ça fait tellement d’années que je parle des X-Files, et me voilà à en réaliser de nouveaux épisodes… j’imagine que la série a toujours de l’intérêt dans l’histoire de la télévision, pour ce qui est de la nouvelle livraison, je touche du bois.
Comment la Fox a accueilli le projet au début des années 1990 ? Apparemment, la chaîne n’était pas enthousiaste sur le casting…
La première fois que je leur ai pitché le show, ils n’ont pas compris. J’ai dû y retourner une seconde fois, et, heureusement, ils ont fini par valider. J’étais le seul à croire au choix des interprètes principaux, mais j’ai fini par convaincre les investisseurs. J’ai eu la chance d’avoir affaire à des gens très ouverts d’esprit et courageux, qui ont su apprécier mon enthousiasme et ma passion au point de les défendre.
Vous avez bénéficié de grandes libertés de ton, avec des épisodes comme Humbug, vous avez même préfiguré la mode de la fiction « méta »…
Vous savez, quand le script de Humbug nous est parvenu, tout le monde a réagi avec circonspection. « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Ça ne passera jamais, ça ne peut pas marcher, on ne peut pas se moquer de la série de cette façon »… Il y a eu beaucoup de résistance, la chaîne a dû faire des études marché… Pour moi, c’est un témoignage de la force du show, cette capacité de délivrer quelque chose d’aussi fou, avec plusieurs niveaux d’appréciation, et revenir la semaine d’après avec une histoire « mythologique » des plus sérieuses… Le succès des X-Files vient en premier lieu – et même uniquement – des personnages de Mulder et Scully, et de l’épaisseur que leur apporte leur interprète respectif.
Quand est-ce que l’arc narratif « mythologique » est apparu indispensable à vos yeux ?
Tout s’est passé de façon naturelle, lorsque nous avons réalisé que ce serait une bien meilleure façon de raconter l’histoire de Mulder et Scully. Les épisodes lambda, les « monstres de la semaine » sont des enquêtes plus classiques, du genre procedural, tandis que les épisodes mythologiques impliquent plus personnellement les personnages principaux, ils touchent à leurs croyances. Ils ne traitent pas tant de la conspiration extraterrestre que de la relation entre Mulder et Scully.
La série est encore aujourd’hui accusée de populariser les théories du complot. Qu’en pensez-vous, avec le recul ?
Vous savez quoi ? On n’est jamais allé assez loin. Quand on voit Julian Assange et Edward Snowden, les choses qui ont été accomplies au nom de notre « sécurité », on se rend compte que les complots existent, qu’ils sont réels, ce n’est pas de la pure paranoïa. Croire aux théories du complot est sain puisque tout est plausible. Pour ce qui est des nouveaux épisodes, raconter des histoires à l’époque d’Assange et Snowden, c’est le timing parfait. Nous avons également intégré la nouvelle ère des communications, les réseaux sociaux, pas en tant qu’outil de storytelling mais parce que ça fait partie de nos vies. Même quand vous créez une série télé, les médias sociaux vous contrôlent, il faut prendre en considération leurs demandes, minute par minute, être showrunner désormais veut aussi dire être marketer.
En quelle année se déroulent ces nouveaux épisodes ?
À notre époque.
Donc la colonisation extraterrestre annoncée dans le dernier épisode de la saison 9 a eu lieu ?
On évoque ce sujet, toute cette idée autour du calendrier maya qui prévoyait la fin en 2012, mais on a trouvé un twist (sourire). No spoilers…
Au casting, vous avez un nouveau venu en la personne de Joel McHale, la star de la sitcom méta Community. Est-ce que son personnage est inspiré des « lanceurs d’alerte » comme Snowden ?
Pas nécessairement, plutôt de ce que j’appellerais des figures médiatiques, un amalgame de plusieurs voix qui suggèrent que le gouvernement ne travaille pas forcément dans notre meilleur intérêt.
Dans l’esprit des éditorialistes conservateurs des chaînes infos comme Fox News ?
On peut les qualifier de conservateurs, ou de libertariens, d’anarchistes…
Quelqu’un comme Glenn Beck (ancien animateur de Fox News, aux éditoriaux proches de la prédication) ?
Absolument. J’ai suivi toutes ses interventions télévisuelles avec énormément d’intérêt, c’est une influence directe du personnage, oui.
Il est un peu fou, non ?
Je trouve que c’est un personnage fascinant. Tout comme Dennis Miller (humoriste de gauche viré Républicain après le 11 septembre), ou Alex Jones (grand prêtre radiophonique de la théorie du complot dite du Nouvel Ordre Mondial)…
Êtes-vous croyant ?
Oui, mais je dirais spirituel, plutôt.
En observant l’évolution du personnage de Dana Scully, on peut presque en déduire que finalement, les théories du complot fonctionnent comme la religion, elles aident à trouver des réponses à des questions irrationnelles…
Je pense que nous cherchons tous des réponses aux grands mystères. Je ne sais pas si on peut parler de théories du complot à ce propos, mais le show essaie, de façon certes hyperbolique, si ce n’est de répondre à ces questions du moins de les formuler clairement, et d’y trouver des hypothèses provocantes. Et c’est là où le show marche le mieux.
Il y a ce moment, dans la dernière scène de la série, où Mulder prend le pendentif de Scully entre ses doigts avec bienveillance…
C’est une scène primordiale parce que vous avez ce personnage, Scully, qui pense que la science peut tout expliquer, et qui pourtant arbore cette croix autour du cou, ce qui signifie en définitive que rien ne peut vraiment être expliqué. Tout n’est qu’acte de foi. Même le système de croyance de Mulder, son doute par rapport à la rationalité scientifique, à la fin, tout est bouleversé, le monde est inexplicable et les réponses inatteignables. La quête de la vérité ne libère pas forcément.
Pour reprendre les théories de Joseph Campbell dans Le Héros aux 1001 visages, peut-être que les théories du complot, la religion et même les séries télé ne sont qu’un seul et même reflet de notre besoin d’entendre des histoires ?
J’adore Joseph Campbell. Tout ce qu’il dit a une résonnance avec moi, que ce soit vrai ou pas, j’en sais rien, mais je pense que c’est un excellent raconteur d’histoires (sourire). Ce qu’il dit résonne en tout cas avec un épisode comme The Musing of a Cigarette Smoking Man, où L’Homme à la Cigarette raconte dans une nouvelle tout son parcours d’une façon complètement irréaliste – il aurait tué JFK, Martin Luther King, truqué des matchs… tout ce qu’il veut, en définitive, c’est raconter des histoires, lui aussi. Je crois que nous sommes tous des raconteurs d’histoires innés, nous avons tous un besoin soit de raconter des histoires, soit qu’on nous en raconte. C’est la raison pour laquelle je fais ce que je fais, j’ai eu la chance d’emprunter une voie qui me pousse à raconter les histoires qui me tiennent à cœur et qui plaisent au public. Aujourd’hui, les gens sont beaucoup plus ouverts au surnaturel. À partir du moment où tu crois en Dieu, tu es déjà ouvert à l’idée du surnaturel. On en vient à considérer la science-fiction comme indépendante de la religion, mais je ne pense pas que ce soit le cas.
Comment avez-vous réagi lors des attaques du 11 septembre en réalisant à quel point les attaques ressemblaient au scénario du pilote de la série The Lone Gunmen, diffusé trois mois plus tôt ?
C’était une coïncidence choquante. Mais ces tours ont été construites dans l’idée que quelqu’un y crashe un avion, donc nous n’étions pas les premiers à y penser. Ce qui est arrivé est de toute façon bien plus frappant que la réalité que nous avions essayé de présenter. On se sent impuissant, on ne reviendra jamais au monde que nous avons connu. Les nouveaux épisodes de X-Files prendront en compte cette nouvelle réalité dans laquelle nous vivons. Ce sera un show post 11 septembre.
Que pensez-vous des nouvelles habitudes de consommation de séries, comme le binge watching ?
C’est amusant, il m’est arrivé de binge watcher des séries, et j’ai adoré cette expérience, mais je crois qu’il y a un retour de bâton maintenant sur cette pratique. Je comprends pourquoi. Toute cette idée d’avoir à attendre pour retarder la gratification reste la meilleure façon d’apprécier une série. Je préfère regarder une série de cette façon, même avec des outils comme Netflix.
Lesquels de vos personnages avez-vous le plus envie de revoir sur un écran ?
J’adorerais retrouver Frank Black, le héros de la série Millenium, ce serait le moment idéal… Je reste pronfondément attaché à Mulder et Scully, ils font partie de moi. Et je me sens beaucoup d’affinités avec L’Homme à la Cigarette. Je peux vous le dire : nous le faisons revenir.
À la fin du dernier épisode de la saison 9, il se prend pourtant une roquette en pleine face…
Je pense que sa façon de revenir va vous intéresser. Ça fera complètement sens.