THE RAID 2

2H30 de fresque mafieuse, de bastons furibardes, et de réappropriation des codes du polar hongkongais des années 80-90, pour un film qui s’affranchit des dérives graphiques du cinéma de genre contemporain.

Le cinéma d’exploitation hollywoodien a récemment atteint le point de non retour dans la représentation de la violence avec l’ahurissant 300 : naissance d’un empire, porno quasi assumé où les pénétrations sont remplacées par des blessures mortelles et le foutre par des gerbes de sang giclant sur les lunettes 3D du spectateur. L’analogie sexuelle pourrait sembler déplacée si la mise en scène de Noam Murro ne venait la confirmer en permanence, ou encore si le cynisme de l’industrie US ne l’avait par exemple poussée à baptiser sa nouvelle vague de films gore crapoteux du sobriquet évocateur de « torture porn ». Voilà où en est rendu le cinéma bis : la course à l’échalote avec la compartimentation des tabous sur Internet, où le sexe et la violence sont disposés tête-bêche comme si c’était évident. Exit l’analyse du sentiment cathartique, le recul de la contextualisation, bienvenue dans l’ère du money shot bourrin où tous les fluides se valent.

The Raid premier du nom s’en était allé rejoindre la petite cohorte des corps étrangers qui débarquent de temps à autre avec une grosse envie de défier les canons bis en vigueur, poussant la logique de complaisance hollywoodienne tellement loin que l’exercice vire à la parodie involontaire. A Serbian Film et ses provocations dégueulasses, Ong Bak et ses cascadeurs suicidaires, Grotesque et son titre programmatique, J’ai rencontré le diable et ses tortures psychologico-physiques… Du haut de son statut de high concept « plus basique tu meurs » – les gentils doivent gravir une tour de 30 étages remplie de méchants pour arriver au boss final –, The Raid n’échappait pas à la règle et se contentait d’enchaîner les joutes barbares jusqu’au dessèchement total de l’action. C’est peu dire que sa séquelle vise bien plus haut cinématographiquement. Vaillante réminiscence des temps passés où le cinéma hongkongais brillait de mille feux et narguait l’obsolescence du divertissement à l’américaine, The Raid 2 est d’ailleurs au premier film ce que le Syndicat du Crime 2 de John Woo fut à son prédécesseur : un reboot ambitieux et baroque, dans un récit plus vaste et un déchaînement de violence surréaliste, orchestrée crescendo en moteur du récit.

Iko Uwais, prêt à en découdre avec du sbire

Le terrain de jeu s’étend à toute la ville, le récit se fragmente autour d’une fin de trêve entre mafieux indonésiens et yakuzas, avec son lot de ripoux ne demandant qu’à fermer les yeux sur les massacres urbains. Rama, héros du premier The Raid toujours campé par la brutasse martiale impavide Iko Uwais, est autant un punching-ball endolori qu’une surface plane sur laquelle peuvent se projeter tous les fantasmes d’interprétation – en particulier lors de sa première mission d’infiltré, le voyant « corriger » des pornographes désireux de se diversifier. Si Gareth Evans scénariste lorgne avec insistance sur la thématique de la filiation, avec ses scènes de clans empruntant leurs somptueuses compositions de cadre au Nicolas Winding Refn d’Only God Forgives, Gareth Evans réalisateur semble quant à lui jouer la bravade permanente de l’industrie US dans un geste cinématographique au culot savamment dosé. Forts d’un découpage nerveux (mais lisible) qui faisait tant défaut au premier film, les morceaux de bravoure de The Raid 2 font mal, très mal. Ils réveillent des zones a priori insensibilisées à la douleur cinématographique ressentie, tout en se payant le luxe de caractériser les personnages à leur centre. À l’heure du brouillage des frontières entre violence et pornographie, la mise en scène de Gareth Evans et sa foi aveugle en ses intrigues (qui n’échappent pas à quelques redondances et autres naïvetés sur une durée amphigourique de 2h30) remplissent largement leur office d’alternative pour le moins radicale.