A GHOST STORY de David Lowery

A la morgue, un drap mortuaire se dresse et commence à déambuler dans les couloirs. Au lieu d’avancer vers la lumière, le revenant s’en revient au domicile familial, auprès de sa veuve, observateur invisible, présence absente. Le temps défile à vitesse elliptique. Les locataires se succèdent, le fantôme gratte le mur à la recherche d’un ultime message de sa dulcinée. L’air de rien s’emplit d’un vertige métaphysique somptueux.

Eric de Eric et Quentin, dépité

Donnez-lui un drap, 30 mètres carré, un budget 41 fois moindre à celui de Bad Buzz, et David Lowery vous livrera le film le plus bouleversant de l’année. Un an en arrière, il s’en sera fallu de toute la verve enthousiaste du camarade Baptiste Liger pour se motiver à aller voir Peter et Elliott le Dragon, précédent film de David Lowery, suspect car inscrit dans cette veine nulle et non avenue des revivals live de classiques Disney. Séance en VF. Dans l’un des pires cinémas de l’agglomération grenobloise – pour ne pas faillir à la réputation du lieu, les lumières se sont rallumées deux minutes avant le générique de fin, histoire de flinguer le potentiel émotionnel de l’épilogue. Par-delà tous ces obstacles a priori infranchissables, le miracle survint dès les premières minutes. Une intro esthétiquement suspendue, un accident de voiture – soit le même point de nouveau départ que A Ghost Story -, le regard perdu d’un enfant rescapé qui, au lieu de céder au fatalisme, choisit de  s’enfoncer dans l’inconnu de la nature environnante. L’émotion brute, taiseuse et évidente de cette scène se prolonge ici à l’échelle d’un long-métrage entier, où la simplicité du dispositif ne vire jamais à la démonstration de force. Tout sert le récit. Le format de l’image, sa photographie compassée, chaque ellipse, chaque hors champ, chaque plan fixe s’inscrit dans la vision de David Lowery et participe à sa grâce, à sa justesse inouïe, d’autant plus troublante qu’elle revient aux fondamentaux de la suggestion cinématographique. Toute bancale puisse-lle sembler, son idée basique de trimballer un bonhomme sous un drap n’est jamais remise en question par le spectateur. A Ghost Story exhale le dernier souffle des petits chefs-d’œuvre doux, fluides, réconfortants au-delà de leur abyssale mélancolie. Tous les clichés, les tropes, les artifices narratifs ne demandent au fond qu’à être réinventés, et David Lowery s’impose naturellement en homme de la situation spectrale. Ni génie conceptuel, ni audacieux autoproclamé mais humble conteur, au point de vue à même de transcender jusqu’à l’aura profondément creepy de Casey Affleck. Il serait criminel de dévoiler tout ce qui fait la richesse de A Ghost Story. Il ne faut pas non plus le survendre, ou surestimer la puissance discursive de son auteur, hanté comme nous le sommes tous par les notions de disparition, de manque, de linéarité temporelle dans le grand tout. L’œuvre reste fragile mais c’est aussi ce qui en fait la profonde beauté.