Previously on Baahubali. Tout comme son fils, Baahubali senior est une force de la nature, capable de stopper un éléphant d’une tape sur le front. Son être exhale la soif d’absolu, son sourire l’innocence guidée par la vertu, son regard une puissante passion inextinguible qui te dit « qui que tu sois, d’où que tu viennes, je vais te prendre violemment, tu vas porter mon enfant, je vais t’aimer profondément pour ça et ce sera juste et beau ». Spolié de son trône par Bhalladeva, faux frère félon et jaloux qui ne supporte plus de le voir en vie une seconde de plus, Baahubali devra attendre la prochaine génération pour se venger dans les règles de la justice karmique.
Plaisir même pas coupable. La vision de ce diptyque monumental demande un certain abandon de soi au spectateur blasé. La possibilité, enfouie pas si profond que ça sous des dizaines de milliers d’heures de visionnage, de revenir à un émerveillement primal, à cette sensation, précieuse, de voir une histoire se raconter pour la première fois, avec ce qu’il faut de candeur borderline pour porter un récit plus grand que la vie vers des sommets monstrueusement épiques. Ne pas redouter une toute petite poignée d’interludes chorégraphiques, de toute façon somptueux et expurgées pour partie des montages internationaux. Sourire, immanquablement, devant des plans au kitsch assumé, des performances paroxystiques, pour mieux succomber à un scénario aussi extrême dans le mélodrame méta-shakespearien que dans ses sidérantes scènes de batailles façon art de la guerre. Phares dans la nuit du cynisme devenu inhérent au blockbuster lambda, les deux Baahubali plongent sans retenue dans le premier degré. C’est déstabilisant, perturbant, limite angoissant nerveusement. Une fois débarrassé de ses mécanismes de défense esthétiques, l’euphorie reprend le dessus, avec gourmandise, même.
Apogée artistique limite disproportionnée de la vitalité du nouveau cinéma télougou, Baahubali 2 confirme tous les espoirs fous furieux placés dans ce grand taré de S. S. Rajamouli, repéré avec le génial Eega, où un soupirant ingénu se vengeait de son assassinat… une fois réincarné en mouche. Non content de donner vie à des histoires baroques équilibrées par sa maîtrise imposante de la dramaturgie, le metteur en scène se rapproche des expérimentations esthétiques menées par l’immense Tsui Hark depuis le premier Detective Dee : une refonte malicieuse des canons narratifs traditionnels, du patrimoine folklorique à l’aune des nouveaux outils technologiques et surtout de leur potentiel d’évocation. Les films ne pourraient être que des tours de force, ils se révèlent au final des marqueurs artistiques cruciaux de la cinéphilie mondiale, fatalement et malheureusement déconsidérés de ce côté-ci du globe. S. S. Rajamouli et Tsui Hark oeuvrent pourtant de concert pour trouver de nouvelles façons de raconter des histoires et y parviennent chacun à leur façon, non sans brio. Baahubali 2 effraie parfois dans sa façon d’utiliser, assez ostensiblement, des idées visuelles vues ailleurs, ou dans l’apparente concession de son premier tiers aux marivaudages usuels du cinéma indien. Dans les deux cas, S. S. Rajamouli défie les attentes de manière inattendue, versant parfois dans des sursauts gore bien déments, voguant avec une élégance folle dans des paysages dont le gigantisme rappelle parfois l’autre grand chef-d’œuvre épique de 2017, The Legend of Zelda : Breath of the Wild. Baahubali 2 peut donner l’impression de se mériter alors qu’il n’y a rien de plus facile que de s’y abandonner.