En dépit de toute l’admiration légitime qu’on peut avoir pour l’œuvre de Sono Sion, à un moment, faut arrêter de se mentir. Au bout de deux heures à se tortiller sur son siège, à tiquer devant des partis pris en vase clos, à se dire que putain, on a pourtant envie de l’aimer ce film, le constat est carrément mitigé.
Toute la force de la Trilogie de la Haine (constituée des films Love Exposure, Cold Fish et Guilty of Romance) résidait dans sa subtile balance entre la radicalité des personnages, la violence physique et surtout psychologique, des entrelacs narratifs empruntés à la littérature mais transcendés par une intuition cinématographique tout simplement remarquable. Dans la décennie écoulée, Sono Sion a macéré les plaies du modèle patriarcal japonais avec un raffinement tout ce qu’il y a de plus sadique, dans des œuvres furieuses, expérimentales, bâtards de sublimes partouzes entre cinéma d’auteur et série B. Artistiquement, Sion entre maintenant dans son âge du chaos.
Dans Himizu, la famille nucléaire a explosé en même temps que la centrale de Fukushima. Les mères sont des prostituées, les pères des connards indignes souhaitant voir crever leur progéniture. Les adolescents, en conséquence, gueulent, chialent, se battent, et parfois les trois en même temps. Ils clopinent dans un univers en friche, spectres hagards d’une société en mauvaise descente. Leur destin s’imbrique de force dans celui d’autres personnages mal définis, dans une ambiance où l’hystérie est reine.
C’est bien là le souci : toute évolution dramatique est neutralisée, tuée dans l’œuf par cette surenchère émotionnelle constante. Dans Love Exposure, chaque occurrence du Boléro de Ravel dans la bande-son revêtait un sens différent ; ici, l’utilisation du Requiem de Mozart finit franchement par irriter et donnerait presque envie de traiter le cinéaste de branleur. Du chaos, Sono Sion a déjà fait sortir des films monstrueux, dans tous les sens du terme. Himizu contient certes quelques moments hallucinés (notamment la “visite“ chez le néo-nazi), mais ils ne suffisent pas à élever le film vers autre chose qu’un brouillon braillard.