BATMAN V SUPERMAN de Zack Snyder

Lever de soleil élégiaque sur des sommets enneigés. La fumée du café s’échappe au ralenti par la fenêtre ouverte. Hans Zimmer tient la note. Des mains tapotent sur le clavier, l’image se ralentit à nouveau, chaque touche enfoncée émet le bruit d’un pas de géant qui se rapprocherait pour te violer sauvagement.

Insert d’une jeune femme en robe légère courant dans un champ du Kansas, monté en alternance avec des images d’actualité de 1989. Voix-off.

« En ces temps troublés, il faut le rappeler. Personne ne détient la vérité critique universelle. Il existe un ensemble de données techniques objectives, une grammaire cinématographique de base, un patrimoine artistique mondial référent pour les amateurs éclairés, mais chacun, selon son propre vécu et son degré d’émulation avec l’environnement proche, est libre d’interpréter chaque œuvre à sa façon, y compris parce qu’il se sera levé du mauvais pied. Il aura même le droit de changer d’avis 10 ans plus tard, juste sous prétexte qu’il est désormais sous l’emprise d’un amour débilitant. Tout n’est que subjectivité BORDEL DE MERDE. »

EXTRÊME gros plan, EXTRÊME ralenti. Au contact des touches du clavier, les doigts soulèvent des monceaux de poussière microscopique, la fumée du café brouille un peu plus la vision. À l’extérieur, la mer de nuage se rapproche à vitesse EXTRÊME, comme sous l’effet d’un effondrement soudain #Le11septembreCétaitHier #UnitedPassions #TousUnis #Bushcoupable #InsideJob #Illuminazis #OHMYGODOHMYGODOHMYGODOHMYGODOHMYGODOHMYGODOHMYGODLESSSODOMITEOHMYGODOHMYGODOHMYGODOHMYGODOHMYGODOHMYGODPOURL’AMOURDETOUTCEQUIESTBEAUTAISTOIHANSZIMMERJEVAISMOURIRMESOREILLESSAIGNENT

Réveil en sursaut, ce n’était qu’un rêve. Le café est froid. J’irais bien à la gym, mais ils n’ont pas de pneus ou de gros marteaux. Tant pis. Diaporama d’images de Ben Affleck topless, circa 1995 (période Mallrats). Reprise de la voix-off, trois octaves en dessous en hommage à Christian Bale.

« Tout n’est que subjectivité. Pour preuve, les critiques de Batman V Superman. D’un avis à l’autre, le film est grandiose ou complètement raté, spectaculaire ou cheap, subtil ou débile. Les mêmes éléments (effets spéciaux, BO, Jesse Eisenberg…) deviennent énormes ou risibles d’une plume à l’autre. Au cœur de ce déchaînement de passions, Dis-cor-dia peine un peu à cacher son appréhension de la grosse lourdeur Snyderienne, mais revendique surtout le droit de s’en foutre. »

Raaaaaaaaaaaaaleeeeeeeentiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii puis accélérationsoudainesurlecaféjetéparlafenêtre. À UNE FRACTION DE SECONDE PRES, le snowboarder danois de l’appartement d’en dessous évite le liquide d’une contorsion physiquement impossible sans Bullet Time. Dans le mouvement, les verres de ses lunettes réfléchissent la lumière du soleil sur un exemplaire du Monde sur une terrasse à très exactement 167 mètres de là. Le quotidien prend feu. Au loin, un enfant crie en tombant d’une balançoire. L’image se ralentit, encore, encore, encore ENCORE

Réveil en sursaut, nu au beau milieu d’une boîte de nuit des années 1990. En me voyant seul sur la piste, sans vêtement, le DJ coupe son mix house-mais-pas-de-la-merde-commerciale pour poser avec grand soin le vynil de 99 Luftballons sur sa platine. Il souffle sur la pochette, la poussière s’envole au ralenti.

Le DJ projette sur les murs de courts extraits de ses youtubers préférés ivres, déguisés en super-héros. Quand il réalise que nous avons le même prénom, il veut m’embrasser, je refuse poliment. D’un coup, le Doof Warrior de Mad Max Fury Road tombe du faux plafond et se met à jouer, accompagnés d’une douzaine de Warboys planqués au grenier et de Hans Zimmer à l’orgue sur le toit.

Voix-off nimbée de petites touches d’auto-tune #KanyeARaison.

« Bien sûr, ce film, écrit et monté comme un prétentieux pilote de série télé, n’a ni queue ni tête. Comme à son habitude, Zack Snyder préfère le symbole lourdingue à tout développement, prend ses vessies dialoguées pour des lanternes hautement philosophiques. S’il s’agit de l’unique alternative à l’inconséquence des productions Marvel, notre monde mérite sûrement de s’étouffer d’obésité morbide sur ses toilettes tel un Don Simpson de la culture geek. »

Réveil, sursaut. Le téléphone sonne. L’image défile à vitesse NORMALE.

– Bonjour, dis-moi, vue la météo, là, tu pourrais faire une séance des Tuche 2 à 14h30 ?

– Bien sûr. Bien sûr.