Sous couvert de ressorts comiques souvent énormes, Chris Morris entreprend une véritable entreprise de démystification de lieux communs sur l’Islam, ses différentes formes d’extrémisme, et son incompréhension totale par les autorités. Le tout avec un culot qui s’exprime avec la saine assurance de celui qui a planché pendant trois ans sur la question pour préparer son film – Morris a rencontré des modérés, des érudits, des extrémistes assumés, des responsables des services secrets, et même des proches des auteurs des attentats londoniens de juillet 2005, une source d’inspiration majeure (et fortement controversée, l’essentiel de la polémique vient de là) de We are four lions. Les héros du film sont ainsi des paumés idéologiques, plutôt intégrés dans la société, sous la coupe de la lutte d’influence entre Barry (Nigel Lindsay, acteur stupéfiant jusqu’ici sous-employé), un converti fanatique, radical fou furieux à la mauvaise foi calamiteuse, et Omar (Riz Ahmed, un futur grand – voir ci-contre), le membre a priori le plus stable et posé de ce groupe «qui ne sait pas se préparer une tasse de thé sans faire exploser une fenêtre». Du camp d’entraînement catastrophique au Pakistan aux premiers tests d’explosifs, en passant par d’interminables débats sur la cible de leurs futurs attentats suicides, Chris Morris suit chaque étape caméra à l’épaule, fait la jonction entre les scènes par de furtifs plans empruntés à des caméras de vidéosurveillance qui ne capteront jamais la réelle menace.
Deux scènes clés distinguent We are four lions de la simple comédie rentre-dedans que ses détracteurs fustigent. Dans un premier temps, une conférence sur l’Islam où s’épanche toute la rhétorique bancale de Barry (un personnage que Chris Morris décrit comme un ancien membre du BNP – le FN anglais, pour résumer – qui se serait accidentellement converti après avoir lu le Coran), et qui se conclura par le “recrutement“ d’un jeune candide venu faire un happening bêtement provocateur ; mais surtout, une séquence où Omar et son épouse se confrontent sur le sens et les implications du mot “djihad“ avec le frère de l’aspirant terroriste, un fondamentaliste qui refuse de se retrouver dans la même pièce qu’une femme. L’écriture rigoureuse et alerte des deux séquences parvient à désamorcer leur malaise pourtant patent, pour se jouer avec une habileté sidérante des idées préconçues. Cet équilibre, le film le tiendra jusqu’à son climax final, à haute teneur dramatique, où surgira le vrai propos de We are four lions. Pendant tout le film, Chris Morris n’a pas traité la plupart de ses personnages avec tendresse pour rien. Il n’a pas voulu opérer de dénonciation ou de justification du terrorisme. Il a cherché à comprendre comment, à force de manipulations, d’auto-persuasion, de malentendus, d’arrangements avec les principes moraux, certaines personnes influençables peuvent en venir au pire. Certes, il l’a fait par le biais de l’humour, d’une façon que d’aucuns jugent dangereusement provocatrice. Mais dans un monde parfait, on devrait d’autant plus le louer pour sa bravoure.