Inutile de se mentir, le film risque de perdre beaucoup de spectateurs non avertis sur sa route. Non content de se situer à une période pré-Révolution Islamique peu mise en lumière et abordée sans réelle contextualisation, de faire écho à un film emblématique de la nouvelle vague iranienne peu diffusé et encore moins vu, Valley of stars brasse un nombre invraisemblable d’identités, tant en genres cinématographiques qu’en regards nuancés sur l’évolution pour le moins complexe de son pays d’origine. Oui, le film demande un minimum d’efforts d’appréhension, mais récompense le curieux d’une proposition esthétique et théorique stimulante.
Tout démarre comme un polar teinté de fantastique, interrompu au bout d’une dizaine de minutes par des séquences documentaires relatant la genèse du film dans lequel nous étions en train de rentrer, porté par une photo absolument sublime, des acteurs magnétiques et une ambiance plus qu’intrigante. Milieu des années 1960. Le premier ministre iranien Hassan Ali Mansour vient de se faire assassiner. La SAVAK, service secret aux méthodes très Stasi dans l’esprit, envoie un agent enquêter sur une île reculée, décor inouï où pend le cadavre d’un dissident politique « suicidé ». Un géologue et un ingé-son le rejoignent sur place pour une exploration mythologico-historique nébuleuse de ce lieu mystérieux.
Maani Haghighin petit-fils du metteur en scène Ebrahim Golestan, base son récit sur la légende urbaine d’un collaborateur de son grand-père sur le film La Brique et le Miroir. Cet assistant ingénieur du son se serait égaré pendant deux jours dans une caverne, en serait ressorti en parlant un allemand parfait grâce à l’enseignement d’une créature des abîmes. Sous l’impulsion de Haghighin, l’intrigue s’agrémente d’espionnage politique, d’enquête sous le joug d’une inquiétante étrangeté, d’horreur suggérée, de romance, même. Sans oublier les irruptions documentaires sous forme d’interviews face caméra, couches de trouble supplémentaire à une trame déjà bien alambiquée. Le principal repère du spectateur reste finalement la beauté insolente des images, la justesse de la composition des cadres, les ruptures de ton audacieuses déroulées avec une fluidité arrogante.
Autant d’éléments rappelant une autre réussite singulière du jeune cinéma iranien, le passionnant huis-clos horrifique Under the Shadow. Et si le renouveau de cette cinématographie passait par le genre ? L’hypothèse séduit, tant les deux films se servent de ce vaste champ des possibles pour interroger l’Histoire sous des angles inédits. Maani Haghighi va même plus loin, en se réappropriant avec audace La Brique et le Miroir, dont il s’amuse à mettre en scène la post-production en amorce du départ vers l’inconnu. Avant d’en offrir une étonnante variation en négatif dans la deuxième partie du film…
L’évocation de ce long-métrage séminal du renouveau cinématographique iranien, fortement influencé par la Nouvelle Vague française, fournit peut-être la meilleure indication quant au projet esthétique de Valley of Stars : interroger l’Histoire et les mythes à égale mesure, ne pas hésiter à y faire résonner ses propres inquiétudes. La Brique et le Miroir montrait un état démissionnaire ; situé à la même époque, Valley of Stars expose quant à lui une paranoïa attentiste. La superposition des deux regards les enrichit l’un l’autre, tout en valorisant leur soif respective de renouveau. Un noble cahier des charges, surchargé, certes, mais aux ambitions plus que louables.