En juillet 1986, La Nuit du risque sort sur les écrans français. Un drôle de polar, pamphlet à deux de tension contre le moulin à vent de la férule socialiste, truffé de scènes dans des meetings de Jacques Chirac. Un film né de l’amitié entre le réalisateur Sergio Gobbi et le député Robert-André Vivien, expérimentation sans suite d’un genre pourtant prometteur : la RPRploitation.
Stéphane, un boxeur dégoûté de la corruption du milieu pugiliste, se fait engager comme garde du corps du député RPR Robert-André Vivien. Un soir, il surprend des loubards en train de taguer les affiches de son nouveau patron. Une altercation s’ensuit. Son meilleur ami Pierre-Marie se prend un sale coup et meurt presque dans ses bras. Stéphane poursuit le meurtrier dans les couloirs du métro, l’assaillant finit accidentellement sous une rame. Accusé à tort, notre héros se réfugie chez une journaliste intraitable avec le pouvoir en place, la seule à même, selon lui, de laver son honneur. Tout cela finira mal. Le générique de fin, parmi les plus atroces de la création, sera chanté par l’enfant acteur du film et slammé par Stéphane. La Nuit du risque balance, La Nuit du risque dénonce. La Nuit du risque oppose la France des casseurs à celle des travailleurs, la France des parasites à celle des jetsetteurs. Nous sommes en 1986, les élections législatives de mars ont installé la première cohabitation entre le pouvoir socialiste et un gouvernement RPR, le premier parti de droite français, ancêtre de l’UMP et des Républicains. Deux vieux amis voient dans ce contexte propice l’opportunité de jeter un ballon d’essai pour le moins audacieux : lancer la voie d’une fiction cinématographique engagée contre le pouvoir socialiste, militant pour le retour de la droite à l’Elysée. Qui a décidé que l’engagement du 7e art ne devait se mener qu’à gauche ?
Le casting
D’un côté, le réalisateur Sergio Gobbi. Un solide artisan du genre policier, avec plus d’une quinzaine de longs-métrages à son actif. Sa filmographie compte aussi bien des polars avec Charles Aznavour, Robert Hossein ou Helmut Berger qu’un rape & revenge avec Virna Lisi et Annie Cordy. Hyperactif dans les années 1960 et 1970, il se relève à peine d’une période de vaches maigres grâce au succès de son film L’Arbalète sorti à la fin de l’année 1984, qui plongeait Daniel Auteuil en pleine guerre des gangs. « Dans ce film, j’étais le premier cinéaste à montrer les Noirs, les Arabes, les fascistes, les Vietnamiens, à montrer les quartiers à Paris, en France, tels qu’ils étaient. Je suis fier de ça. » se rappelle le réalisateur, dans un café cossu des Invalides où Philippe Douste-Blazy sirote un café dans un coin. Malin, Gobbi s’octroie en outre des bénéfices rondelets grâce à l’exploitation en VHS de quelques classiques italiens et surtout de la série des Don Camillo, véritable manne financière en cette ère du magnétoscope. Il a le temps de voir venir, et le loisir d’accepter toute proposition. Aussi loufoque soit-elle.
D’un autre côté, le député RPR Robert-André Vivien. Gaulliste historique, il a rejoint le Général dès 1940, a été affecté en Yougoslavie, a fait un tour en Corée. D’après son successeur estampillé Les Républicains à la mairie de Saint-Mandé, Patrick Beaudouin, « C’était un baroudeur civil, de cette génération qui n’avait pas peur de grand-chose. Il a très vite compris l’intérêt des médias. » Lorsque la coalition de gauche arrive aux affaires en 1981, le gros de la carrière de Robert-André Vivien est déjà derrière lui. Il n’a plus rien à perdre. Il se dit qu’il va cogner. Il va devenir le spécialiste des petites phrases, des obstructions piégées. Patrick Beaudouin, son assistant parlementaire à l’époque, était en première ligne. « C’en était au point où Laurent Fabius et Pierre Mauroy venaient me demander si mon patron était là avant de venir en séance. Il était devenu cette voix d’une opposition sans relâche, La Nuit du risque est dans cette continuité. ».
La production
Le député et le réalisateur se connaissent depuis 1962. Âgé d’à peine 23 ans, Sergio Gobbi vient de sortir son premier film, L’Espace d’un matin. Il se fait remettre la Médaille d’argent de la ville de Paris des mains d’un homme politique fraîchement élu, Robert-André Vivien. Les deux hommes se recroisent. Sergio Gobbi construit habituellement ses fraternités sur les terrains de foot, pour l’homme politique, ce sera le poker. Leur amitié s’entretient au fil des ans. En 1986, Mitterrand campe à l’Elysée depuis cinq ans. L’état de grâce s’est enfui en courant. Pas besoin d’être devin pour prédire une large victoire de l’opposition RPR aux élections législatives de mars. Selon Patrick Beaudouin, Robert-André Vivien sent la bonne occasion. « Il était président d’un groupe à l’Assemblée Nationale sur les questions de cinéma. Il a vu ce qu’il pouvait en tirer pour sa pub personnelle, pour asseoir son autorité politique sur sa circonscription électorale. ». Pour Sergio Gobbi, aucune ambiguïté, l’initiative vient clairement de son ami. « Il me dit, tiens, les élections arrivent, tu ne voudrais pas faire un film dessus ? Je lui ai dit oui, ça m’amusait, je trouvais ça intéressant de concilier une histoire avec une période d’actualité précise. » Le député met le réalisateur à la colle avec le journaliste du Figaro Claude Baignères, chargé de dialoguer et de mettre en forme les idées de Sergio Gobbi.
L’épouse du réalisateur assume le rôle de productrice. Robert-André Vivien s’affaire quant à lui à trouver des lieux de tournage en pleine effervescence électorale. Côté casting, le réalisateur fait appel à deux habitués de ses dernières productions, Pierre-Marie Escourrou et Daniel Ubaud. Pour le premier rôle, il recrute un authentique boxeur, Stéphane Ferrara, plutôt cantonné en temps normal à des apparitions à l’arrière-plan du fait de son jeu… nature. Dans le rôle de la téméraire présentatrice télé, Gobbi convainc Christiane Jean de se joindre à l’aventure. « Sergio m’avait vu dans L’Amour braque. Il m’a appelé, m’a proposé le rôle. C’était un homme charmant, plein d’allant. J’avais trouvé ça rigolo parce que c’était une entreprise un peu familiale, « allez, on fait un film, on fait ça un peu avec les moyens du bord ». J’arrivais de plus grosses productions, plus traditionnelles avec des machineries lourdes, tout un système de hiérarchie… C’était très chaleureux, sympathique, sans se prendre au sérieux. Avec une facilité de rapport humain importante. »
Le tournage
La Nuit du risque est filmé en dix jours de mars 1986, à cheval sur le week-end électoral, histoire de se retrouver au cœur de l’action et de l’intégrer au film. L’équipe, réduite au minimum, se faufile dans des meetings de Jacques Chirac avec la bénédiction des hautes instances du RPR. Sur place, Sergio Gobbi filme ainsi Bernard Pons, Charles Pasqua, Michèle Alliot-Marie, Jacques Toubon et surtout Robert-André Vivien, quasiment un personnage à part entière, toujours flanqué de Stéphane Ferrara comme dans un rêve de fiction à l’hollywoodienne où le député-maire de Saint-Mandé aurait besoin d’un garde du corps. Le soir du résultat, les caméras tournent dans les locaux de la permanence RPR du Val-de-Marne. Le parti de droite mène largement avec 40% des votes, le PS respire à 30%, la claque ne fut pas aussi violente que redoutée. Derrière, le Parti Communiste et le Front National plafonnent à 9,7 et 9,6%. Dans le film, pendant que son patron commente les résultats à la télévision, Stéphane s’effondre en apprenant la mort de Pierre-Marie. Les interprètes gardent leur vrai prénom, ça rapproche du cinéma vérité. En commentatrice aigre-douce d’un changement politique inéluctable, Christiane Jean préfigure l’avènement des chaînes d’informations privées et des éditorialistes rois avec une certaine raideur, et pour cause. « J’avais très mal au dos ou à la nuque, j’ai connu une période de tournage épouvantable où je ne pouvais pas tourner la tête, bouger d’un poil. J’arrivais à peine à articuler. Quand j’ai vu le film, en me revoyant dans certaines scènes, ça m’a presque refait mal… » se souvient l’actrice dans un rire encore douloureux.
La sortie
Le montage sera suffisamment rapide pour assurer une sortie en salles début juillet. Comme les débats parlementaires, les films sortis durant l’été passent un peu plus inaperçus. La presse plus à gauche que le Figaro réserve cependant à La Nuit du risque un accueil glacial, nourri aux soupçons de coproduction directe ou indirecte par le RPR du fait de l’affichage répété de ses représentants à l’écran. Le colis sera traité ccomme s’il était piégé, coupant court à la RPR-ploitation. Il ne l’est au final pas tant que ça passée la première moitié du film, et ses apparitions de personnalités politiques incongrues. Les personnages principaux se marrent en entendant les vacheries à l’encontre des socialistes, typiques des « petites phrases » de Robert-André Vivien à l’Assemblée Nationale. Quand la fiction reprend ses droits, à moins de penser que le pouvoir socialiste traque les boxeurs intègres à l’aide de ses colleurs d’affiche ET de la police, la vision politique s’efface pour laisser place à un mélodrame amorphe, obligé de boucler une histoire commencée trop bizarrement pour vraiment tenir la route. Au final, nul ne sait si La Nuit du risque a permis à Robert-André Vivien de conserver ses mandats de député et de maire jusqu’à sa mort, en 1995.