Hasard du calendrier des sorties vidéo et VOD, l’année 2017 nous a offert pas moins de six films avec Nicolas Cage. Enfin, pas tant offert qu’abandonné sur le palier en espérant qu’un voisin pas trop regardant s’en empare à la faveur de la nuit. Que nous racontent ces films sur ce diable fou en déshérence, cet insaisissable taré ?
Nicolas Cage est une tornade, un animal sauvage indomptable que rien n’arrête. Il peut surgir n’importe où, n’importe comment. Récemment, on l’a vu, fringué comme dans Snake Eyes, hurler sur le chanteur de Mötley Crüe avant de le prendre dans ses bras à la sortie d’un casino de Vegas. Entendu asséner en conférence de presse des vérités mystiques à même d’éclairer le visage de Jean-Claude Van Damme d’un sourire un peu triste. Vu son nom apparaître dans la presse pour une sombre histoire de crâne de dinosaure qu’il aurait volé en Mongolie. Nicolas Cage n’écrit pas sa propre Histoire, il la vit en se laissant porter par les coups qu’il se colle lui-même en pleine gueule.
Tel John Hammond dans Jurassic Park, Nicolas Cage a dépensé sans compter au tournant du XXIe siècle. Il s’est payé, entre autres, une tombe pyramidale, une Lamborghini ayant appartenu au Shah d’Iran, une maison hantée de la Nouvelle-Orléans, deux îles au Bahamas, trois châteaux dont un en Bavière, l’ancienne maison de Dean Martin à Beverly Hills. Juste avant la crise immobilière de 2008, évidemment, sinon ce serait moins drôle. Il s’est enfermé dans une spirale de dettes et d’insolvabilité a priori insurmontable, avec notamment une ardoise de 6,3 millions de dollars au fisc américain. Impossible n’est pas Nic Cage : pour sortir de la panade, il s’est mis à accepter littéralement tout ce qu’on lui proposait. Depuis sa dernière performance marquante en 2009 dans le Bad Lieutenant de Werner Herzog, il a tourné dans 28 films, et en aligne 6 autres en pré ou post production. C’est beaucoup. C’est trop. Sa vista d’acteur possédé, d’interprète borderline s’est diluée dans des contre-performances regrettables, des projets indignes de son terrifiant charisme immortalisé dans ce montage, unique utilisation du greatest hit du Kronos Quartet autorisée hors contexte.
Le cador des années 1990-2000 s’est abaissé au niveau de carrière d’un John Cusack, dont il partage la filmographie aléatoire : pour un projet correct (Joe de David Gordon Green, un second rôle dans Kick-Ass, une apparition dans Snowden), compter une demi-douzaine de direct-to-video à peine regardables. Plus les années passent, et plus les chances de voir Nicolas Cage revenir sur le devant de la scène s’amenuisent. Pour tous les masochistes qui suivent sa filmographie avec une douloureuse assiduité, il est assez évident que Nicolas Cage a l’air de s’en foutre. Prodigieusement. Son niveau d’investissement s’en ressent dans les pires navets qu’il visite en touriste sous calmant : cette lueur de folie dans son regard s’éteint, le Sheitan en lui s’endort. Le volcan ne crache plus que des volutes occasionnelles, mal contrôlées dès lors qu’on lui demande lâcher la bride.
Une analyse comparative de sa filmographie avec celle d’un Steven Seagal nous montre qu’il en est grosso modo à la période bulgaro-roumaine du mignon de Poutine. A la limite, peu importe qu’il s’engonce dans des productions de plus en plus fragiles structurellement. Qu’il tourne donc avec Jacquie et Michel, si ça lui chante (ce qui est tout à fait plausible, par ailleurs), tant qu’il garde en lui ce feu sacré qui nous fait l’aimer tant, nous, ses fans fidèles qui ne veulent pas le voir se perdre. Prenons pour l’heure son pouls, par ordre chronologique de sortie par chez nous.
USS Indianapolis de Mario Van Peebles
Signé d’un autre rescapé in extremis des années 1990, Mario Van Peebles, lesté de la présence du très tricardisé Tom Sizemore six mois avant sa réinvention repentante dans Twin Peaks: The Return, ce film historique au budget beaucoup trop cheap pour ses ambitions est un véritable cimetière des éléphants, avec en sus de gros problèmes d’attention. Film de bateau, catastrophe, de requin, patriotique à la mémoire de nos gars de la meuwine ? Dur à dire. Dans le rôle du Capitaine ô mon captain, Nicolas Cage semble hésiter entre retrait monolithique et dignité, avant d’exhiber quelques petits signes de folie dans la partie survie en milieu requins. Tout espoir ne semble pas perdu, quand bien même le film ne se défend que sous le joug d’une grande mauvaise foi.
Vengeance: A Love Story de Johnny Martin
Là, tout de suite, on entre dans le dur. Dans le rape revenge où Nicolas se traîne dans une petite moitié des scènes, manque de se faire voler la vedette par cet escroc de Don Johnson – Don Johnson, putain, Nicolas ! Réveille-toi bordel ! Son œil démoniaque ne s’éclaire qu’au détour d’un seul plan, celui capturé ci-contre, quand Nicolas assiste au procès qui va innocenter les rednecks violeurs. C’est peu. C’est toujours ça, avant que Nic ne vire Charles Bronson au bout de sa vie, même pas celui des Justicier dans la ville, non, celui de Kinjite, Sujets Tabous.
Dog eat Dog de Paul Schrader
Deuxième collaboration de Nic Cage et Paul Schrader, dont les jérémiades d’artiste brimé par les aléas de production sur The Canyons et La Sentinelle ne peuvent venir au secours de ce polar bêtement trash et braillard, en retard d’une bonne vingtaine d’années. Dommage, la performance de Nicolas y est tout à fait honorable dans le registre Bad Lieutenant du pauvre.
Arsenal de Steven C. Miller
Vous connaissez la technique du fou furieux de Richard Nixon ? Confronté par des détracteurs, prenez leurs arguments et exagérez-les au maximum, poussez-les à l’absurde dans des proportions grandiloquentes. Vous trouviez que Nicolas jouait de façon too much, que ses choix capillaires craignaient ? Vous n’avez rien vu. Il reprend donc le pire rôle de sa carrière, celui du gangster paroxystique de l’inédit (j’ai envie de dire tu m’étonnes) Deadfall, avec perruque, moustache, costume pas possible et cocaïne tout le temps, partout. Arsenal démarre en polar social à la Comancheria, puis Nic la furie arrive et contamine tout. Il ne laisse pas le temps d’un what the fuck, il vide tout de son sens, éructe de façon inappropriée, courbe l’espace-film de coups de boutoir à faire plonger tous les tenants de l’Actor’s Studio dans un coma végétatif. Le Diable en Nicolas convulse d’avoir été trop retenu.
Army of one de Larry Charles
Le binôme américain de Sacha Baron Cohen aux commandes, une histoire vraie totalement démente, Russell Brand dans le rôle de Dieu, un rôle à la hauteur démesurée de Saint Nicolas, n’en jetez plus, you had me at « binôme ». Du lot 2017, la plus grande promesse d’un retour en grâce, hélas sacrifié sur l’autel d’une absence de direction d’acteur pour le coup criminelle : grimé comme il se doit, Nic la joue hystérie mal dosée avec une insupportable voix de crécelle qui peut donner envie de jeter son écran par la fenêtre, de balancer 7 grenades dessus, puis de rouler sur les débris avec une moissonneuse-batteuse. Attention, Nico est un fou : il peut partir sur une mauvaise imitation, bourré avec des frites dans le nez et la tenir pendant tout un tournage si on ne lui dit rien.
Usurpation de Jonathan Baker
D’assez loin le pire des six films, avec son allant, son rythme, son intrigue et sa production value de téléfilm produit par la chaîne Lifetime. Nicolas Cage n’a rien à jouer, rien à défendre, il faut attendre l’après climax du film pour qu’il agisse un tantinet sur le déroulé dramatique d’un script désespérément convenu. Il aurait très bien pu être remplacé par une plante verte ou par une PLV grandeur nature de Jai Courtney. Tel Jack Nicholson à la fin de Shining, Nicolas Cage a été avalé dans le décor. Il ne s’appartient plus. Pas loin d’être le pire, en tout cas le film le plus triste de 2017.
Nous voilà rendus. Nicolas Cage végète plus ou moins au même niveau depuis trois ans. Il ne manifeste aucune volonté d’évolution, même dans ses rôles les plus azimutés, il se contente d’assurer le minimum de présence intimidante et de partir dans un souffle las. Au final, suivre sa carrière devient de plus en plus difficile. Les derniers fidèles sont les vrais de vrai. A ce stade, on peut même dire que nous le suivrons jusqu’à son ultime rôle, son ultime caméo, son ultime participation vocale à un dessin animé moche. Peut-être qu’après tout, Nicolas teste notre patience pour ne garder auprès que lui que les plus résistants, pour fonder une religion dont il serait le messie cabossé. Peut-être que Nicolas Cage est un personnage qu’Andy Kaufman tient depuis sa disparition.
Pourquoi continuer à le suivre ? Parce que Nicolas Cage demeure malgré tout le chef de meute des chiens fous, l’électron libre par excellence à l’heure où tout, partout, devient de plus en plus lisse. Le remake de The Wicker Man est un film abominable, la seule pensée de la performance de Nicolas Cage dans celui-ci aide néanmoins à faire tenir notre monde debout. Nicolas Cage est chaos, mais aussi entropie absolue. Il est l’alpha, l’oméga, le gros bêta, tout et rien à la fois. L’anarchie faite acteur. Nicolas Cage connaît la différence entre le Bien et le Mal, sait parfaitement ce qu’est la pondération. Mais il n’en a strictement rien à foutre.