Pré-apocalyptique. Dans l’Amérique d’avant Donald Trump, la toute petite ville de Leith dans le Dakota du Nord. Huit kilomètres carré, 24 habitants. Lorsqu’un taiseux 25e débarque un beau jour et se met à acheter des lopins de terre pour une bouchée de pain, les habitants de Leith sont informés, mais un peu tard, qu’il s’agit de Craig Cobb, un suprémaciste blanc très actif au sein de l’extrême-droite américaine. Cobb ne cache pas bien longtemps ses intentions : prendre le contrôle de la bourgade pour la transformer en arrière-base néo-nazie. D’où une certaine tension entre les gens de Leith et leurs nouveaux voisins, leurs drapeaux avec des croix gammées, leurs armes, et leur repli derrière la liberté d’expression.

Les nazis du quotidien. Si l’objectivité documentaire reste un mythe, Welcome to Leith s’en approche néanmoins beaucoup plus que The Other Side,
 le film très chaos mais un rien putain de Roberto Minervini, auquel il 
ne manquera pas d’être comparé pour son portrait de la radicalité 
politique en rase campagne américaine oubliée. Michael Beach Nichols et 
Christopher K. Walker n’imposent pas la généralité du racisme, ils 
émettent tout au plus l’hypothèse d’une gangrène. D’un virus que le 
passage du temps a immunisé contre les attaques, ses défenses 
immunitaires à bloc derrière le premier et le second amendement de la 
Constitution américaine.
Liberté d’expression et port d’armes, les racines du malaise absolu pour
 qui sait manier la rhétorique un minimum, histoire de défendre son 
droit d’être un enfoiré fier de l’être. Craig Cobb est à ce titre le bad
 guy le plus terrifiant que vous verrez cette année, le potentiel de 
nuisance chevillé aux tripes bien au-delà de la chronologie du film – 
sans grande surprise, entre autres sorties ouvertement racistes, il a 
récemment exprimé son admiration pour Donald Trump, l’homme, et son 
vibrant enthousiasme pour Donald Trump, le candidat, au diapason de 
l’amicale néo-nazie à travers les Etats-Unis. Pour lui comme pour les 
illuminés en état de siège depuis 20 jours dans leur refuge en Oregon, 
le droit américain opère une distinction : ils ne sont pas accusés de 
terrorisme, mais de terrorizing, de «propagation de la terreur», 
comme pour minorer la peur domestique. De fait, elle est infiniment 
moins prioritaire, et les pouvoirs publics impuissants.
Livrés à eux-mêmes, les habitants de Leith multiplient les moyens 
citoyens pour déjouer les plans de Craig Cobb, lequel, son sourire forcé
 aux lèvres, est à l’affût de la moindre incartade pour provoquer ses 
adversaires. La guerre des nerfs se scande d’ellipses en plans fixes de 
natures désolées, que l’un des personnages décrit comme un décor 
abandonné de The Walking Dead. Le fond musical bourdonne suffisamment pour jouer sur une corde anxiogène inconsciente. Welcome to Leith refuse
 le spectaculaire au profit du mindfuck moral. Il confronte à un monde 
où les pires discussions de réseaux sociaux, toute la souillure des 
forums des commentaires, des blogs (sauf celui-ci, bien sûr) et la 
désespérante incommunicabilité qui s’en dégagent ont débordé dans la 
réalité, sûres de leur bon droit, pour devenir un enjeu de civilisation.
 Bienvenue à Leith, bienvenue en 2016. S’il n’était qu’intègre, il 
serait déjà remarquable. Le film de Michael Beach Nichols et Christopher
 K. Walker a l’immense mérite de poser presque toutes les bonnes 
questions au bon moment. 
