Entretien réalisé au NIFFF en juillet 2015.
Vous avez des mots très durs pour vos collègues japonais, comme si la mort de Kinji Fukasaku avait refermé les portes d’un cinéma subversif, engagé dans votre pays.
Même avant Battle Royale, il y avait cette baisse de régime du cinéma japonais. Les grands cinéastes qui ont représenté les années 60 et 70 ont commencé à disparaître, Nagisa Oshima notamment ; le déclin est arrivé dans les années 1990.
Pourquoi, parce que le cinéma japonais a connu la subversion très tôt ?
La vraie raison c’est qu’autrefois il y avait une sorte d’intérêt pour le cinéma qui venait de l’étranger, avec cette volonté de vouloir les concurrencer en créant des œuvres très originales. Et là, depuis quelques années, il y a eu un désintérêt envers ces cinématographies et le cinéma japonais commence à produire de plus en plus pour le marché domestique, d’où cette baisse de régime. Fukasaku a été influencé par le Parrain qui a eu un gros succès aux Etats-Unis, il a voulu transposer ça avec les Yakuzas et ça a donné Combat sans code d’honneur.
Pensez-vous que votre vécu chaotique vous distingue de vos collègues japonais ?
C’est absolument ça. Il y a eu une époque où je n’arrivais plus à faire de films, j’ai vécu un moment aux Etats-Unis comme un SDF, et c’est vrai qu’à partir de ce moment-là, tout ce que j’ai pu vivre a influencé mes ouvrages et m’a éloigné de tout ce qui est mélodrame.
Vos films s’inspirent de vos expériences, mais aussi de votre goût pour la littérature étrangère…
En fait depuis tout petit je suis un grand fan de littérature étrangère et aussi de films étrangers que je regardais avec passion, et c’est ce qui m’a poussé à avoir cette connaissance.
Ça se sent dans votre style, à la fois littéraire et cinématographique, la voix-off, le chapitrage, cette façon de suivre les personnages…
Le fait que je ne suis pas trop fan de littérature japonaise et que j’ai grandi avec cette littérature étrangère m’a beaucoup influencé. C’est moins restrictif que le marché de la littérature japonaise qui est assez limité.
Le scénariste de Cold Fish était surpris de votre réappropriation de son script…
Je voudrais juste rectifier une chose, c’est que j’avais délégué le travail à une personne qui devait travailler sur le scénario mais je n’ai jamais rien reçu de sa part. Il avait écrit une histoire, qui ne me convenait pas, qui était assez horrible, et du coup j’ai réécrit le scénario, j’en suis l’auteur même si les deux noms figurent au générique de fin.
Est-ce qu’une adaptation n’est pas une trahison ?
Aujourd’hui au Japon, c’est quasiment devenu normal qu’il faille une œuvre originale à adapter, ce qui n’était pas le cas autrefois. Les studios préfèrent verser de l’argent à des valeurs sûres qui existent sur d’autres supports, ils donnent peu d’argent aux œuvres originales. Ma première adaptation de manga, Himizu, était une expérimentation en soi de ce fait.
Est-ce que les auteurs que vous adaptez aujourd’hui sont plus ouverts à cette réappropriation ?
Pour Himizu et Tokyo Tribe, les auteurs m’ont dit que j’étais libre d’adapter comme je voulais. Désormais, à partir du moment où ils savent que c’est moi qui m’en charge, ils se doutent que c’est perdu d’avance de vouloir négocier une adaptation très carrée. Cette liberté m’est accordée d’avance, sinon, ils auraient pris des auteurs plus conventionnels.
Vos films sont très centrés sur l’adolescence, parce qu’ils disent que le monde des adultes est foutu. C’est votre ressenti sur la société japonaise ?
J’ai fait beaucoup de films qui décrivent le monde des adultes comme Cold Fish ou Guilty of Romance… c’est vrai qu’il y a beaucoup de lycéens, d’étudiants mais c’est aussi parce que le marché du film japonais demande que ce soit ces représentations de teenagers, mais même si au fond de moi j’aimerais décrire beaucoup plus de monde, de façons beaucoup plus variées. Si je veux que ça marche au Japon, ça doit se passer dans ce monde adolescent.
Il y a beaucoup de visages venus de la J-Pop dans ce cinéma, vous cassez ça…
Casser cette logique japonaise ne casse pas la logique mondiale. Mon but, c’est d’en faire des acteurs. Mes films ne sont pas souvent bien perçus, je suis considéré comme un trublion. Et c’est pour ça qu’à partir de l’année prochaine, je pense tourner à l’étranger.
Votre premier projet à Hollywood, Lord of Chaos, a tourné court…
Lord of Chaos a été confié à Ridley Scott je crois, je me suis retiré de ce projet. Mais là je suis en cours de négociation.
Vous feriez évoluer votre cinéma du coup ?
Absolument pas. Bien sûr il y a les habitudes, les us et coutumes dans la manière à l’étranger d’interpréter ou de jouer. Je ne pourrais pas intervenir là-dessus.
Dans les making of de vos films, il ressort que vous aimez le caractère spontané, provoquer des accidents.
J’essaie au mieux de m’adapter en fonction des œuvres. Par exemple sur Why don’t you play in hell, qui est une comédie, j’essaie d’instaurer une atmosphère pas trop sérieuse, plus funky, et si c’est plus sérieux, c’est très carré. L’ambiance du tournage doit s’accorder au ton du film.
Jusqu’à Be sure to share, que vous dédiez à votre père récemment disparu, vos films ont démontré l’explosion du modèle patriarcal japonais…
Vous l’avez vu comment ?
Je l’ai téléchargé, désolé…
Non non non, Je ne suis pas contre. Au contraire, je remercie Youtube, c’est ce qui me fait connaître à l’étranger justement. Si les jeunes de Chine me connaissent, c’est justement parce qu’ils sont vu mes films sur Youtube. Le téléchargement illégal, même si ça ne me fait pas gagner d’argent, je suis content. Donc le téléchargement ne me dérange pas du tout, je voudrais même que plus de gens le fasse… Et la série Minna Esper Dayo, comment vous l’avez vu ?
Pareil, avec des sous-titres français grâce à la grande communauté française de fans de drama japonais.
Le film devrait bientôt sortir. Ça s’appellera Virgin Psychic en anglais. Ça commencera avant même que le héros naisse. Pour revenir à votre question, mon père était quelqu’un de très strict, son fantôme me hante. Par exemple, dans Love Exposure, le père est à cette image, mais le fait qu’il soit prêtre rajoute une ambivalence.
Pensez-vous que les femmes peuvent prendre le pouvoir ?
Dans mon enfance, le père avait beaucoup de pouvoir et ma mère était assez effacée. Sans m’en rendre compte, instinctivement, il arrive la même chose dans mes films.
Je trouve bizarre que ce discours n’ait pas plus de résonance au Japon.
En fait au Japon de plus en plus, les femmes deviennent fortes. Le rapport de force est en train de changer, je me demande si les femmes n’ont pas déjà pris l’ascendant. Un de mes amis fait la cuisine, le ménage, la seule chose que sa femme doit faire, c’est sourire.
Vos films participent de l’érotisation des adolescents, avec ses plans de petites culottes, ses voyeurs… n’est-ce pas une autre façon de se faire enfermer par les adultes ?
Ah, les Européens n’aiment pas les petites culottes ?
Je serais tenté de dire moins, quand même…
Dans Minna Esper Dayo, c’est justement parce que le héros est vierge qu’il arrive à avoir ce pouvoir, par cette pureté. J’ai mis beaucoup de temps avant de perdre ma virginité, de ce fait, je me souviens qu’il n’y avait pas de plus grande imagination que quand j’étais puceau. Une espèce de pouvoir, une force particulière. Une croyance au Japon veut que si on reste vierge jusqu’à trente ans, on devient une fée.
Est-ce que la sexualité imposée à tous les niveaux n’est pas une sorte de prison ?
En réalité, les personnages dans mes films sont puceaux mais veulent perdre leur virginité. Ils sont soit timides, soit pas doués, soit pas beaux, ils se confrontent à des obstacles et n’arrivent pas à les surpasser.
Qu’est-ce qui a poussé à terminer Bad Film après une si longue pause ?
C’était plutôt par obligation, on m’a demandé d’inclure dans la DVD box un autre film donc je l’ai remonté en trois jours, mais pour moi c’est une œuvre qui reste incomplète. Ça restait un certain plaisir de le revoir après une si longue pause, ça reste une bonne expérience. Il y a eu beaucoup d’inquiétude à cause de ces conditions précipitées mais j’aimerais bien y revenir.
Votre film préféré est Babe 2, avez-vous vu Mad Max Fury Road ?
J’aime bien Babe 1 aussi… Babe est plus marrant que Mad Max. Fury Road est un remake de Babe 2. Il y a cette chaîne cloutée autour du cou du cochon, ce petit chien sans jambes sur un chariot, qui est une sorte de voiture tunée, ce moment où le cochon est poursuivi par une horde de chiens, où Babe s’étouffe avec le collier, c’est une scène qu’on retrouve dans Mad Max. ce qui est étrange aussi, c’est que quand on regarde les Mad Max 1 et 2, les animaux sont traités de manière très importante, les chiens, les serpents… il y a aussi une scène avec des cochons qui courent… J’ai sorti récemment Love & Peace, dedans, comme j’aime beaucoup les animaux, on en retrouve beaucoup à l’intérieur. Scénario que j’avais écrit avant Babe 2. Avec le succès de Fury Road, les journaux spécialisés ont reparlé de Babe 2, mais j’aime tellement ce film que je le considère indépendamment, sans penser à Mad Max. Cet amour est peut-être un peu extrême… J’adore les animaux depuis longtemps. Quand j’en ai marre d’écrire des scénarios, je vais dans un zoo avec ma femme pour me relaxer, me détendre (il me montre une photo de lapin sur son portable). Love & Peace parle d’animaux, de chats, de chiens abandonnés qui se retrouvent. Pendant la post-production, j’ai récupéré un chat errant. On l’a depuis un an (il me montre une photo de son chat sur son portable).