NOCTURAMA de Bertrand Bonello

On achève bien Luis Rego. Une bande de jeunes United Colors of Insurrection s’en va poser des bombes en plein Paris et tuer des cadres de chez HSBC par amour pour la musique trop forte et par désensibilisation à la violence à cause de ces satanés jeux vidéos, si j’ai bien compris. Une fois leur besogne accomplie, ils se rejoignent dans un centre commercial et multiplient les réflexions de réseaux sociaux pour brouiller un peu plus les pistes.

La terreur n’a plus de visage

La malédiction du nouveau formalisme français. Par éthique, par principe et par soif d’absolu critique, on devrait pouvoir juger ce film en tant que tel, à saine distance de l’actualité des dix mois écoulés. Il faudrait faire abstraction des dialogues, se réjouir de l’existence d’un metteur en scène français de la trempe de Bertrand Bonello, louer ses idées de rythme, de cadre, de casting, même. Le problème étant que Nocturama, encore plus que tous ses films précédents réunis, passe son temps à se contredire, à court-circuiter sa confortable abstraction narrative par des rappels maladroits au réel. C’est le plus grand drame de l’année 2016, l’idée de faire correspondre la fiction et l’actualité prégnante de notre monde échoue faute de trouver les bonnes résonances. Le réel fait tapisserie, il ne sert plus que de béquille dramatique. À quoi bon citer des politiciens en place ? Qu’amène donc cette scène de discussion surréaliste avec Adèle Haenel, top 10 Topito des meilleurs tweets post-attentats? Pourquoi flouter les motivations du passage à l’acte pour finalement dévoiler un background idéologique de façon aussi téléphonée?

C’est la teuf au centre commercial


Pire, dans son portrait d’une ultra-gauche à la diversité impeccable, Bonello transpose une certaine idée du romantisme littéraire des années de plomb à l’époque d’Internet, et donne vie cinématographique au cauchemar absolu de la petite bourgeoisie que représente son fantasme d’un islamo-gauchisme de combat. En l’état, du pain béni pour éditocrates en mal d’arguments, du nectar numérisé pour les longues soirées d’hiver où Pierre Gattaz aurait envie de se faire un peu peur. Et par ailleurs, une approche aussi désespérément clichée que non avenue de l’éternelle jeunesse-perdue-sacrifiée-sur-l’autel-d’une-société-qui-ne-la-comprend-plus. Au-delà de son problème de regard de classe, de son inconscience dans le survol de la question politique, l’écueil le plus représentatif du paradoxe irréconciliable entre les envies cinématographiques de Nocturama et sa réalité, c’est qu’il s’agit d’un film sur les jeunes fait par un vieux. Un défilé de personnages fonction pour lesquels le cinéaste cherche in fine à susciter une empathie grossière. Tous les artifices malins de mise en scène, tels que ces hoquets narratifs revenant quelques secondes en arrière sur un même événement, se redéploient alors dans un exercice de manipulation émotionnelle des plus désagréables. Après Ma Loute de Bruno Dumont, la triste évidence s’impose : les formalistes français les plus intéressants sont aussi les plus dégueulasses.