KEV ADAMS, L’EXEGESE

KEV ADAMS étonne, KEV ADAMS traverse la vie avec beaucoup trop de poésie, KEV ADAMS traumatise plusieurs générations de personnels de multiplexes obligés de nettoyer les salles au son de ses génériques de fin, KEV ADAMS mortifie la plèbe jeanmichelapathique à l’orée d’une quarantaine honteuse de n’avoir rien pu faire.

Mal du siècle, symptôme de l’Idiocracy rampante, furoncle sur le nez de la tante que vous ne voulez surtout plus embrasser, de quoi Kev Adams est-il le nom sinon celui de personne? Un épi-phénomène de société encore plus inoffensif que Jamel Debbouze, construit sur un semblant de belle gueule et une gouaille approximative recyclant sans vergogne cinquante années de blagues bredouillées par des personnages gaffeurs et maladroits? Supputations plausibles, réconfortantes, basées sur de l’intuition et une vague jalousie envers un potentiel de séduction qu’on n’arrivera sans doute jamais à s’expliquer sans sombrer dans la folie, un peu comme les premiers mathématiciens à avoir théorisé le concept d’infini, mais avec quand même un peu moins d’enjeu. Il faut plonger tête baissée chaos debout au cœur du mal pour livrer au monde ébahi l’exégèse de Kev Adams. L’Adamségèse.

La cour du collège de LOL

LOL de Lisa Azuelos (2008)

Tout démarre par une rumeur, un bruissement. Le monde n’a pas explosé dans une clameur, mais dans un chuchotement, un give-me-five-BRO originel à l’arrière-plan d’une scène de transition de LOL. Kev Adams n’est ici que figurant. Le plan ne le laisse pas s’exprimer, comme mal à l’aise. Kev tourne le dos à Sophie Marceau, refus matois de respect aux aînés, déjà héraut de la nouvelle génération sans dieu ni maîtresse, pas encore chef de file culturel Drucker-compatible. Toute l’incompréhensible insolence de son succès à venir est là, en germes buboniques devant nos yeux.

Lionel Jospin

Et soudain, tout le monde me manque de Jennifer Devoldere (2010)

Le coup d’éclat, discret, prend racine dans l’inconscient cinématographique français, ce réseau névralgique commun rétif par nature à toute nouveauté. Kev Adams court les castings, le cinéma français lui résiste tant qu’il peut. Un an avant son accession à la popularité de masse dans la sitcom Soda, la réalisatrice Jennifer Devoldere, véritable Nostradamus du cinéma d’auteur jospiniste en fin de vie, prédit le futur du 7e art national. Mélanie Laurent et Manu Payet sont écrasés le temps d’un plan totem par le nom du comédien, leurs visages sont lourds, très lourds. Côté performance, Kev Adams est exactement comme Juto au bal de la grande Bubunnerie: il est là.

Les Profs de Pierre-François Martin-Laval (2013)

Il se passe clairement quelque chose, puisque sans une locomotive fédératrice, cette production quelconque n’avait aucune raison objective d’aligner 4 millions d’entrées. Sa facture autant que son humour renvoient au film presque homonyme de Patrick Schulmann de 1985, en plus propre, plus anodin, dégagé de toute aspérité un tant soit peu rebelle. Les enjeux dramatiques et leurs articulations ne dépassent pas ceux d’un épisode moyen de Maguy. La photo et le montage sont corrects, la bande originale putassière, Pierre-François Martin-Laval sait s’entourer de professionnels, on ne peut pas lui enlever. Enfin à ses aises, Kev Adams ne brille pas nécessairement par son charisme et encore moins par son originalité, il ne sort jamais de sa partition, prudent, tranquille.

Dubosc et Bourdiaux en plein délire

Fiston de Pascal Bourdiaux (2014)

Fun Fact : projectionniste, je jouais ce film en même temps que Situation amoureuse : c’est compliqué, le magnum opus de Manu Payet sur la vie, l’amour, les femmes dans un contexte d’égoïsme rationnel masculiniste total #JeSuisAynRand, et en surveillant le début de séance, la première scène, je jure m’être trompé de film, fonce en cabine et constate l’invraisemblable – les deux films ont en réalité presque la même intro, avec le même montage et des plans similaires, où le héros raconte son crush d’enfance en voix-off. D’où cette question: Kev Adams, un cran plus loin dans la caricature d’ado maladroit, ne participerait-il pas du reboot d’une comédie française encore plus inoffensive que ses précédentes générations de copies ?

Kidon de Emmanuel Naccache (2014)

Là, le terme de caricature n’est même plus adapté. Kev Adams interprète un hacker surnommé Facebook, tant il est connu et reconnu que les pirates sont tous des grands fans de Mark Zuckerberg et de son réseau social. En fait, ce film est au hacker ce que Cyprien d’Elie Semoun était au geek. Il faut en outre applaudir la clairvoyance de Tomer Sisley qui, si l’on en croit une interview récente, aurait refusé deux rôles dans Game of Thrones pour jouer dans ce film et Largo Winch 2. Deux expériences cruciales dans son obtention du rôle de dealer de weed dans le fondamental Les Miller, une famille en herbe.

Les Profs 2 de Pierre-François Martin-Laval (2015)

Le bide du film précédent, sorti n’importe comment et à peine vu, s’est évaporé dans l’éther. Kev Adams est une marque, un logo, un excellent produit. Pour la première fois, ses souteneurs lui font chanter un single téléchargé un nombre terrifiant de fois. Pour la première fois, je vois des adolescents live-tweeter la séance, prendre des photos de l’écran, et chatter pendant un film qui, il est vrai, ne demande aucun effort particulier de concentration dans toute son absence de structure à retrouver découpée en bouts de deux minutes sur Youtube. Pour la première fois, j’entends les mêmes ados répéter «c’était trop bien, il est trop beau», comme si les deux informations étaient inextricablement liées. Ces deux mois d’exploitation m’ont enlevé deux ans de vie, tout en garantissant quasi à eux seuls la pérennité de mon poste pour au moins encore une saison. Kev Adams, contre le moindre effort mais pour l’emploi.

Les Nouvelles Aventures d’Aladin de Arthur Benzaquen (2015)

Le film démarre merveilleusement, sur la voix de Cyril Hanouna à la radio. Comment retoucher terre passée pareille note d’intention ? De fait, Aladin est un long vol plané contre un mur, avec le spectateur non averti comme crash test dummie. Hmmm hmmm hmmmm hmmm... Ni vraiment raciste, ni totalement homophobe, mais complètement inconséquent, avec des blagues méta imaginées par un enfant venant de relire la définition du mot ironie pour la troisième fois, oh, juste pour être sûr. Aladin est un film transparent. Mais avec Kev Adams, le fantôme de Michel Blanc, ce qu’il restait de dignité à Jean-Paul Rouve, un single et des effets spéciaux presque convaincants, le projet dont personne ne voulait devient un succès pluri-millionnaire, parce que le monde, parce que la France, parce que 2015, parce que Cyril Hanouna est Charlie, apparemment. Enfin, n’oublions pas la presse française, qui, ivre, a découvert avec une adorable candeur que les gros sites Internet tripatouillaient les taux de satisfaction des films sponsors. Bienvenue dans le futur, les gars.

Le futur

Qu’a-t-on appris au terme de cet énième Kev-bashing à peine plus fouillé que la moyenne ? Que sa filmographie est consternante, mais que bien marketée, elle peut sauver des emplois saisonniers. Que ce succès est purement générationnel, quand bien même le passage chez Michel Drucker a dû rassurer des parents inquiets. C’est un bon emblème des temps, un objet confortable, pas rebelle pour deux sous, dans la lignée de l’humour Youtube et de sa réappropriation quasi frauduleuse du patrimoine comique, où le recyclage devient la norme. Kev Adams n’est pas là pour être original ou pour apporter quoi que ce soit à la culture comique française – qui serait donc capable d’expliquer ce qu’il amène de nouveau, à part le jargon des millenials? À l’occasion de la sortie de son dernier film, Amis Publics, tout le monde a tellement souligné son changement de registre, sa prise de risque, que c’en est automatiquement suspect. La bande-annonce ne révèle pourtant rien d’autre que la même constante de la filmographie Adamsesque, la comédie pas drôle, celle que la France pétrifiée de 2016 mérite.