En l’an de grâce 1425, la jeune Jeanne parle à Dieu, lequel lui répond en riffs heavy metal dans sa tête. A peine calmée par un duo de nonnes smurfeuses, la petiote s’en va baguenauder dans les bois et assiste à une apparition forestière d’assez mauvais aloi costumier. Ellipse, devenue adolescente, celle qui ne veut plus qu’on l’appelle Jeannette se déplace désormais comme Regan dans L’Exorciste, sur la même fucking plage avec les mêmes fucking moutons. Son oncle rappeur danseur de tecktonik s’inquiète un peu, j’ai envie de dire tu m’étonnes.
L’équivalent cinématographique du rap de Christophe Barbier. Le forcené Bruno Dumont se retranche un peu plus dans le bunker de la création atypique et s’auto-radicalise à tel point que ça force presque le respect – presque. Ses abominables P’tit Quinquin et Ma Loute nous avaient démontré qu’il ne comprenait rien à la comédie, qu’il ne voulait rien y comprendre au-delà d’une surface malaisante qui le plaçait à mille coudées « auteuristes » au-dessus de ce genre si peu noble pour son grand esprit, le voici désormais prêt à s’attaquer au concept même de comédie musicale. Soit, pour Nono, l’équation pas très complexe image + musique + danse, le texte (de Charles Péguy) n’ayant plus aucune espèce d’importance si ce n’est celle de béquille pseudo-rythmique. Dès ses premières tentatives dans le genre qu’il honore de sa curiosité, rien ne tient si ce n’est l’énergie de ses éternels comédiens amateurs / chair à canon, placés comme à chaque fois en première ligne de ses « expérimentations » so brechtiennes, so bressoniennes pour absorber les coups à sa place. La musique se greffe n’importe quand, n’importe comment. Chaque interprète se débarrasse de son texte avec la précipitation mécanique d’un écolier en pleine récitation qu’il ne comprend pas parce que son professeur, pédagogue frustré reconverti en sadique par faiblesse de volonté, ne veut surtout pas qu’il le comprenne. L’habituel mépris du réalisateur pour ses personnages s’y fait plus vicieux, moins évident, il transparaît néanmoins avec une immense douleur dans chaque phrase hachée, dans chaque mouvement raté a priori chorégraphié par Philippe Decouflé hashtag name-dropping hashtag tu ne peux pas comprendre, gros, c’est du spectacle mort-vivant.
Manque de bol, tout comme la comédie (les mauvais esprits étendront l’axiome au cinéma en général), la comédie musicale s’accommode très mal de l’approximation, même sous couvert de « performance », « d’audace ». Il est des gnostiques du 7e art comme Xavier Beauvois pour prétendre que la technique s’apprend en dix minutes et que le reste, ça s’appelle la grâce. Disons, pour rester pudique, que Bruno Dumont manque fâcheusement de grâce. Jeannette n’est qu’un objet théorique, à peine plus tolérable que Ma Loute tout simplement parce qu’on y crie moins. Dans la pratique, il ne témoigne d’aucun effort de greffe, de réflexion, de mise en scène. Dumont semble y balancer des éléments au hasard, en espérant une harmonie miraculeuse – du moins faut-il l’espérer parce que si l’objet a été réfléchi, ça le rendrait encore plus terrifiant. Comme dans Ma Loute, la plus grande réussite artistique du film est imputable à Guillaume Deffontaines, son directeur de la photographie. Sur le fond, dans son « traitement » de la ferveur mystique féminine, Jeannette pourrait dans l’absolu se rapprocher d’Hadewijch, histoire de souligner un peu plus l’immonde dégueulasserie de ce dernier – heureusement que la pucelle d’Orléans n’a pas été confrontée à l’Islam, dites donc.
Vous n’aimez pas Dumont ? il ne vous aime pas non plus, et ses films, chemins de croix pour cinéphiles masochistes, sont là pour le prouver.