Benjamin est un gentil garçon, timide, propre sur lui, élevé par sa dévote de mère dans une petite ville tranquille des Etats-Unis. Son unique violon d’Ingres ? L’écriture d’un roman de science-fiction intitulé Yeast Lords (« Les Seigneurs de la Levure »), où Bronco, un héros chevelu campé par Sam Rockwell dans des scènes fantasmées, chevauche gaillardement des cerfs cyborgs et vomit des hectolitres de levure rose pour combattre le mal. Plein d’espoir, Benjamin confie un manuscrit à son idole, Ronald Chevalier, prolifique écrivain mégalomane en panne d’inspiration, puis vend les droits d’adaptation pour 500 dollars à un cinéaste amateur local pas franchement doué. Les deux expériences rivaliseront avec énormément d’ardeur dans le champ de la déception.
A la fin de Napoleon Dynamite, le doute affleurait, tenace comme un gigolo syphilitique avide de vengeance : Jared Hess aime-t-il ses personnages ou les observe-t-il avec une distance moqueuse ? Son film suivant, Nacho Libre, n’apporte pas vraiment de réponse satisfaisante, vampirisé qu’il est par la performance ogresque de Jack Black. Tout juste confirme-t-il le goût du réalisateur pour les seconds rôles apathiques, les freaks affables et les contretemps comiques étirés au-delà du raisonnable. Passé le générique (diaporama de superbes couvertures de science-fiction vintage monté sur In the Year 2525 de Zager and Evans), Gentlemen Broncos pousse encore plus loin le repli sur soi. Michael Angarano interprète un héros taiseux, introverti, en contraste hardcore avec les douloureuses grimaces faciales de Hector Jimenez. L’humour n’en semble que plus incongru, avec pour surréaliste apogée la première scène d’illustration de Yeast Lords, sa direction artistique branquignole, son action à la bizarrerie presque louche.
Il faut attendre l’arrivée de l’antagoniste Ronald Chevalier (Jemaine Clement, parfait, comme toujours) au bout du premier quart d’heure pour commencer à saisir véritablement le plan de Jared Hess. Il s’empare d’un territoire vierge, innocent et quasi transparent (probablement l’Utah, l’état à prédominance mormone où vit Jared Hess et où il a tourné une partie du film), pour y laisser infuser une mise en abyme foutraque du show-business, avec ses femmes fatales, ses artistes incompétents, ses légendes vivantes abominables pour peu qu’on gratte un tout petit peu le vernis, ses outsiders désabusés. Un show-business ravalé à une échelle microscopique, ostensiblement dérisoire. Jared Hess ne se moque pas de son héros pour autant, il s’y projette avec une mélancolie amère culminant dans ce montage à mi-parcours, à la fois sublime, ringard et iconique – tout comme le morceau choisi pour l’illustrer.
A cet instant du film, les fils de pute ont gagné. Ils ont pris les rêves des children of tomorrow pour se torcher avec. Dans un revirement classique du cinéma de Jared Hess, le faible se rebiffe contre la machine. La colère du dernier acte sera récompensée d’un happy end. Enfin, le doute n’est plus permis : Jared Hess n’est pas du côté des rieurs. Il aime ses univers, ses freaks et leurs rêves de cerfs montés avec des lance-roquettes, et invite la minorité de spectateurs touchés par ses histoires à faire de même.