FATIMA de Philippe Faucon

Le plébiscite du dernier film de Philippe Faucon tombe à point pour mettre en lumière le travail exigeant de cet auteur, artisan discret d’un cinéma au réalisme souvent déstabilisant. Dès son premier long-métrage (Muriel fait le désespoir de ses parents, en 1995), le cinéma de Philippe Faucon se pose en geste citoyen. Une tentative si ce n’est de réconciliation, du moins d’auscultation des fractures morales dont la société française se constelle. Fatima clôt à sa façon une trilogie féminine entamée avec Samia (2001) et Dans la vie (2008), chroniques sociales emplies jusqu’à la lie d’interrogations légitimes sur la place des personnes issues de l’immigration au sein de la population française. Le film reprend les partis pris esthétiques de ses prédécesseurs, peut-être avec encore plus de raffinement dans la composition : la mise en scène, en apparent retrait, tient sa discrétion pour laisser le champ libre à des comédiens pour la plupart amateurs, moins gueules de cinéma que substituts incroyablement crédibles à la matière autobiographique première. Ainsi de Lynda Benhouda, étonnante interprète du rôle-titre de Samia, ou de la remarquable Soria Zeroual dans Fatima, une femme de ménage de la banlieue lyonnaise au parcours similaire à celui de l’auteure Fatima Elayoubi, source d’inspiration du film avec ses livres Prière à la lune et Enfin, je peux marcher seule. Philippe Faucon ne se contente pas d’attaquer de front des enjeux sociétaux cruciaux par un travail d’observation à distance idéale, il parvient en outre à donner vie à des regards et des personnages féminins d’une force d’évocation trop rare dans le cinéma français actuel.

Philippe Faucon, taiseux sur le plateau

Dans Fatima, le cœur de la narration bat pour un triple portrait de femmes d’âges différents, en prise avec des réalités hostiles qu’elles vont fuir, contourner du mieux possible ou affronter directement selon leur motivation et leur environnement proche. Il y a Souad, la plus jeune, ado rebelle sans cause en rupture avec les études, les relations sociales et son modèle parental brisé. Nesrine, l’aînée, dépassée par la dureté éliminatoire de sa première année de médecine, bien décidée à cravacher sans relâche pour se faire une place. Et enfin Fatima, leur mère courage cantonnée à des postes de femme de ménage, faute de formation et de maîtrise suffisante de la langue française. Les trois parcours parallèles dessinent en creux l’impasse communicationnelle entre des générations pourtant pas si éloignées temporellement, comme la tentation d’une démission pure et simple face à la panne beaucoup trop prolongée de l’ascenseur social. Encore plus que dans ses précédents films, la justesse de caractérisation des personnages et de la direction d’acteurs de Philippe Faucon saisissent le spectateur. Pour sa délicate performance dans le rôle de Nesrine, Zita Hanrot a remporté le César du Meilleur Espoir Féminin, mais la gouaille de Kenza Noah Aïche et la dignité de Soria Zeroual l’auraient tout autant mérité. Sur le papier, les rôles sont beaux ; à l’écran, ils sont magnifiques.

Fidèle au reste d’une filmographie parfois âpre mais toujours passionnante, Fatima puise sa force dans le refus de tout constat définitif ou autre dénonciation hâtive. Le cinéma de Philippe Faucon n’est jamais moralisateur, donneur de leçons ou démonstratif – il est témoin. Il accompagne les trajectoires de personnages à l’évolution contrainte par la pré-détermination. Nous sommes dans un cinéma de personnages vertement ancrés dans le réel. Un cinéma emblématique de moult problématiques, certes, mais qui sait comment ne pas succomber aux sirènes de la généralisation. Ici plus que dans ses autres films, la fraîcheur d’un casting audacieux dégomme l’impression de didactisme charriée par une austérité de ton presque monacale – les moments de légèreté, comme cette superbe scène d’intimité voyant Nesrine improviser des percussions, ou encore ce moment où Souad rembarre des petits dragueurs de quartier, n’en sont que plus lumineux. Dans le dernier acte, l’émotion perce derrière une pudeur admirable. Un geste suffit pour humidifier les yeux du public. Damn you Philippe Faucon, tu nous as pris par surprise !

Philippe ! Je sais où tu te caches !

Fatima est une œuvre modeste. Taiseuse, sèche. Pour autant, le dépouillement esthétique ou narratif n’est pas forcément synonyme de pauvreté formelle. Bien employé, c’est une arme défensive de passeurs vigilants des enjeux contemporains. Il est rassurant qu’au-delà de son humilité, Fatima atteigne une reconnaissance académique validant non seulement son droit d’exister, mais surtout la légitimité du travail unique mené par son réalisateur depuis le début de sa filmographie, en marge de toute mode esthétique, à l’écoute d’une réalité trop souvent dénaturée par des intentions bien moins nobles. Un encouragement bienvenu à persévérer dans son travail d’analyse de la société française, par la voix de ses enfants précarisés.