Gentiment moqué de ses élèves pour ses élans narcoleptiques, Makoto Kido remonte assez haut dans leur estime en se conduisant avec bravoure lors d’une prise d’otage d’un bus scolaire. Cette parenthèse joue la diversion à merveille pour occulter son invraisemblable projet : la construction de la première bombe atomique japonaise, en scred, dans son laboratoire. Une fois parvenu à ses fins, Makoto, rebelle sans cause, machônneur indolent d’un éternel même chewing-gum, se sert de la menace nucléaire pour plier le Japon à ses désirs : la diffusion intégrale des matchs de baseball nocturnes, ou la venue des Rolling Stones à Tokyo.
Plus qu’une anomalie, ce film est un hold-up. A la préparation du coup, Leonard Schrader, grand frère de Paul, exilé au Japon dans les seventies, passionné par les mutations de cette société encore traumatisée par les bombes, émasculée par le grand Occident dont elle embrasse peu à peu la culture impérialiste. Son idée de départ séduit Kazuhiko Hasegawa, petit auteur de roman porno pour la Nikkatsu passé réalisateur en 1976 avec Le Meurtrier de la Jeunesse. Là où ce premier film inspiré de faits réels suivait l’émancipation hardcore d’un adolescent tenaillé entre sa petite amie et ses parents, The Man who stole the sun épouse la trajectoire sinueuse d’un homme seul, uniquement obsédé par l’idée de faire du Japon la 9e puissance nucléaire au monde… pour son seul profit ludique. Le personnage de Makoto Kido n’apparaît jamais désespéré, malheureux, ou possédé par une quelconque fibre autre que la performance scientifique du fond de sa solitude laborantine. Son goût du travestissement pour accomplir ses diverses missions parle pour lui : le mec s’amuse. Il passe à côté des manifs, des infos anxiogènes sur le taux de pauvreté ou de suicide sans même hausser l’épaule.
La première moitié du film se parsème de ces discrètes caractérisations sociétales, fugaces au point de sembler ironiques. Le style esthétique même du film trahit l’absence de motivation claire de son anti-héros. Les différentes étapes de confection de la bombe, assez fastidieuses, se voient parasitées de sautes d’humeur pop saugrenues, telle cette scène de cambriolage / fusillade dans une centrale nucléaire, où tout d’un coup, le prof de science devient sans aucune transition un super agent tueur à la Diabolik. Ce goût de la rupture va aller s’accentuant. Une fois Makoto outillé de l’arme de destruction massive, un Bunta Sugawara revenu la clope au bec des polars de Kinji Fukasaku viendra confirmer, dans le rôle du flic excédé par ces conneries, que tout cela n’est quand même pas très sérieux. Pire que l’arme nucléaire, sa trivialisation par un type qui s’en sert comme ballon de foot. Plus absurde que le terrorisme, son absence totale d’idéologie autre que la prime jouissance du pouvoir. The Man who stole the sun, un Docteur Folamour où les deux blocs seraient remplacés par un aïeul nippon d’Hanouna spécialisé en physique nucléaire.
Comédie, romance vache, polar, espionnage, chronique sociale sur le vif, film d’action avec poursuite spectaculaire en bagnoles, The Man who stole the sun passe par tous les registres avant de jouer dans sa dernière partie avec la pire arme de toutes : le premier degré. Contaminé par les radiations, toujours dans le flou de ses crises de sommeil impromptues, Makoto cauchemarde de faire subir à son pays un traumatisme égal en puissance d’évocation à celui d’Hiroshima et Nagasaki, funeste prémonition des cataclysmes nucléaro-écologiques à venir. La confrontation finale, à la hauteur barjo de cette œuvre outrancière, laisse un goût de sang au fond de la bouche.