Evolution ce mois-ci et le premier long-métrage Blind Sun de Joyce A. Nashawati le suivant, deux propositions de fantastique atmosphérique, où la maîtrise limpide du cadre n’est que le premier pas vers le dérèglement sensoriel en pleines zones d’inconfort. Le hasard de ces sorties rapprochées aurait presque valeur d’espoir dans le renouvellement d’un cinéma fantastique français raréfié, comme condamné à réciter scolairement encore et toujours la même DVDthèque de cent titres. Enfin, de l’inédit, de la personnalité ; deux films, et l »amorce d’une mue tant attendue semble possible. Parler d’une touche féminine aurait néanmoins autant de sens que de restreindre l’horreur à un genre par essence masculin. Dans la réussite de ces deux objets cinématographiques singuliers, seuls comptent l’incroyable capacité à créer des images marquantes, à se reposer sur des acquis sans vivre exclusivement à travers eux. À mûrir le genre, à lui imposer un point de vue, à plier les codes du cinéma d’exploitation à une vision qui ne se livre pas clé en main dès les cinq premières minutes. Dans le cas du film de Lucile Hadzihalilovic, c’est la narration même qui se révèle contaminée par cette noble éthique, tant la composition de l’univers prend le pas sur l’intrigue à proprement parler. Le procédé peut irriter le spectateur peu enclin à se laisser manipuler sans savoir où ce voyage le mène, il peut tout autant fasciner qui aime se perdre en territoire cinématographiquement inconnu.
Pourtant, il y a un fil conducteur, un point d’entrée. Le jeune Nicolas nage au large de la pension hospitalière où il séjourne. Il croit voir un cadavre d’enfant, sa mère lui jure qu’il a rêvé. Ce problème initial se noie vite dans l’étrangeté du quotidien de ce môme en âge de questionner le monde autour de lui, d’explorer les inquiétants rituels nocturnes sur la plage. Une scène dévoile les enfants comme la graine de sociopathes que le cinéma fantastique aime tant, la suivante plonge dans la noirceur d’expérimentations anxiogènes. La bande-son bourdonne, chaque regard pèse une tonne. Le mystère s’épaissit dans les rapports des personnages, peut-être encore plus difficiles à appréhender… La note d’intention de la réalisatrice et de sa coscénariste Alanté Kavaïté évoque le passage à la puberté, à l’épreuve du rapport au corps et à l’autorité comme dans Innocence, le précédent long de Lucile Hadzihalilovic, mais le film manie l’abstraction avec suffisamment d’habilité pour ne pas se limiter à cette seule piste. Pétri d’angoisse et de beauté à égale mesure, Evolution joue de son opacité sublimement mise en lumière par Manuel Dacosse comme du trouble de son casting brillant avec la grâce d’un chef d’orchestre aguerri. Un peu comme si la fine fleur du cinéma français s’était réunie pour vous offrir le cauchemar le plus élaboré possible, avec ce qu’il faut de liberté d’interprétation des événements pour vous garantir des années d’analyse derrière. Ne remerciez pas, c’est cadeau. Et comme tout cadeau, il s’apprécie en salle obscure, entouré d’inconnus sans doute encore plus mal à l’aise que vous.