Entretien réalisé au NIFFF en juillet 2015.
Qu’est-ce qui vous a poussé à un si jeune âge vers la culture physique ?
J’ai toujours eu la bougeotte, j’aimais grimper à tout ce qui me tombait sous la main, la vitesse, regarder la gymnastique… je ne pensais étant petite que je pourrais en faire un métier, mais j’ai commencé à en faire pour le plaisir. À neuf ans, je suis entré dans un club. Le dépassement est quelque chose qui m’a toujours attiré. Quand j’ai commencé la gymnastique, j’ai vraiment apprécié la discipline, la structure… Je ne suis pas de nature très disciplinée ni structurée, mais dans ce cadre-là, ça m’allait. J’adore l’apprentissage quel qu’il soit, tant que c’est nouveau, repousser les limites de mon corps, voir quelque chose et comprendre par moi-même comment y arriver. Quand je suis devenue trop grande pour la gym, aux alentours de mes 16 ans, il a fallu trouver comment pallier ce qui était tout de même un entraînement de 15-18 heures par semaine. Le concept des arts martiaux avait l’air cool, il me fallait quelque chose où j’utilisais tout mon corps.
Là aussi, ça demande beaucoup de discipline…
Oui, et comme la gymnastique, visuellement, ça me parlait… J’étais très athlétique, on me mettait dans toutes les équipes de sport possible. S’il manquait un joueur, ça tombait sur moi. Même pour le water polo, même si je n’avais aucune idée de comment ces sports se jouaient. J’étais toujours en forme, et j’ai toujours adoré grimper aux arbres. Escalader des murs, être en hauteur. Je ne prenais pas ça comme un amour du risque, et je ne me vois pas toujours pas comme une junkie de l’adrénaline, parce que… je n’ai pas vraiment envie de mourir ! J’aime être en vie avec mon corps opérationnel – je suis nulle en convalescence, je déteste être blessée. J’ai toujours eu beaucoup d’énergie. On m’a beaucoup encouragée petite à exprimer toute cette énergie, histoire que je n’ennuie pas mes parents et que j’arrive à m’endormir… Je suis toujours comme ça, même fatiguée, je… (elle chante la musique de Super Mario mode étoile)
Quel rapport entreteniez-vous avec le cinéma à l’époque ?
Mes parents travaillaient dans le milieu médical, nous habitions dans une très petite île, sans salle de cinéma, il y avait la télé mais en Nouvelle-Zélande à l’époque il n’y avait que deux chaînes avec arrêt des programmes à 23h…. donc je n’ai pas du tout grandi dans un environnement cinéphile. Je ne regardais même pas beaucoup la télévision étant petite à cause de cette manie de grimper aux arbres tout le temps… Mon premier contact avec l’industrie s’est fait avec mon travail… la gym et les arts martiaux m’ont fait côtoyer des gens qui se sont avérés être des cascadeurs, et c’est comme si quelqu’un avait inventé ce qui serait le job parfait pour moi. Je n’arrivais pas à y croire. Même sur les plateaux de Xena, j’ai doublé Lucy Lawless pendant un an avant de voir le résultat de mon travail – la Nouvelle-Zélande était en retard d’une saison, donc là je n’avais même pas de retour, de véritable appréciation de l’aboutissement de mon travail. J’adorais l’ambiance, l’équipe, les performances qui m’étaient demandées, aider à concrétiser leur façon de raconter une histoire… et puis je rentrais chez moi ! Mon amour de la mise en scène et du cinéma n’est pas arrivée avant un bon moment. J’ai commencé à voir des films et à les aimer quand on a déménagé dans une petite maison à Auckland, où on pouvait louer des films. Mon frère et moi on allait au vidéoclub où la dixième location était gratuite, donc chaque fois qu’il pleuvait, on allait dépenser l’argent de nos parents. J’aimais bien tous les films que je voyais, mais je n’imaginais pas que des gens puissent en être fanatiques. C’était juste une façon agréable de passer le temps, se projeter dans le monde de quelqu’un d’autre, se fendre la poire avec mon frère ou voir un acteur vraiment badass… ça m’a longtemps complexé de ne pas plus m’y connaître, de ne pas retenir les noms des metteurs en scène, des acteurs, de finalement n’aimer les films que pour ce qu’ils étaient. Il n’y a que deux ans en arrière que je me suis dit que ce n’était pas si grave, que ce qui compte, c’est la façon d’y arriver. Et je suis entrée dans le monde du cinéma en grimpant aux arbres… je suis arrivée dans le business grâce à ce que j’aime, mes différentes passions. Ça reste quelque chose d’organique, mais à rebours en quelque sorte de la manière traditionnelle, de ceux qui ont grandi avec les films. Et puis dans mon enfance, il n’y avait pas vraiment d’industrie cinématographique en Nouvelle-Zélande, certains veulent devenir cascadeur depuis qu’ils ont trois ans, mais je ne savais même pas que ce métier existait. Je vous ai répondu ? N’hésitez pas à me couper, je pars souvent en monologue, surtout après le café.
C’est votre père qui vous a fait découvrir le métier, il soignait un cascadeur pour une blessure à la tête…
… Et il s’est dit, « Hey, voilà ce que ma fille devrait faire ! » (rires) . J’ai commencé par voir un reportage à la télé sur les cascades, puis j’ai réalisé que j’en côtoyais, j’ai commencé à parler de cascades à la maison (je pense que j’ai dû les ennuyer à force), et donc mon père bossait aux urgences, il a soigné ce cascadeur et il est revenu à la maison avec son numéro. « Au lieu de parler à tort et à travers, tu devrais appeler ce type », mais bon je trouvais ça embarrassant, je n’y connaissais rien. Donc mon père m’a enfermé à l’extérieur avec le numéro et il m’a dit qu’il ne me laisserait pas rentrer tant que je ne l’aurais pas appelé. Au pire, tu te réveilles demain et rien n’a changé, ou alors, tu te réveilles demain et tu es cascadeuse. Mais si tu n’appelles pas, il n’y aucune option.
C’est un bon conseil…
C’est un excellent conseil ! Ça m’a servi tout au long de ma vie. Ça a tout démarré. Et ce n’est que le reflet d’à quel point c’était une évidence pour moi. J’ai passé un an sans aller à l’école, sans savoir ce que j’allais faire. Mon père était médecin, ma mère infirmière, peut-être que je devrais commencer médecine, mais rien ne m’y attirait en dehors de l’héritage. La première fois que j’en ai parlé à mes parents, ils me voyaient parler du métier de cascadeur avec passion, ils ont tout de suite accroché et m’ont soutenu à 100%. Pour ma mère, c’était déjà gagné, elle m’a toujours encouragé, mais mon père… avait du mal à s’exciter pour quoi que ce soit. Mais il a dû voir cette lueur dans mes yeux quand j’en parlais, et c’est lui qui a poussé en ce sens.
Vous avez décroché votre premier contrat à 17 ans…
Mon premier boulot était pour un pilote d’une série appelée Amazon High, par la même société de production que Xena et Hercule. Ça m’a pris deux trois semaines. Après j’ai fait une mini série appelée The Chosen, puis un soap opera Shortland Street, où je me faisais percuter par une voiture ! Je me suis quand même demandé ce qui m’avait amené dans ma vie à me retrouver intentionnellement en face d’une voiture en marche… avant de trouver ça génial, finalement. J’étais novice, mais la gym et les arts martiaux m’ont donné le background nécessaire. Mais encore une fois, je n’avais aucune conscience du milieu du cinéma, de comment tout pouvait bien fonctionner. Donc les premiers jours sur le plateau, j’étais perdue. Je ne savais pas où me tenir, quand bouger, quand ne pas bouger… j’avais un peu peur de me faire engueuler… les conditions étaient professionnelles, il n’y avait pas vraiment d’industrie historiquement implantée en Nouvelle-Zélande comme Hollywood, mais dans notre culture, nous sommes naturellement de gros bosseurs. On ne prend rien pour acquis et on fait ce qu’on nous demande. Donc cette expérience a été très efficace. Tu te lèves, tu apprends, tu recommences. Mais j’ai vraiment commencé à apprendre sur le plateau de Xena, en doublant Lucy, les jours où je ne travaillais pas, je m’imprégnais de l’ambiance, de la répétition, des relations avec les gens qui bossaient avec moi, je comprenais ce qui les énervait, je voyais quand je faisais du bon boulot.
Vous avez gagné du galon rapidement…
Je pense que j’ai l’état d’esprit et la carrure d’une performer spécialisée dans l’action. Il y avait des contraintes spécifiques pour doubler le personnage de Xena. La femme qui la doublait depuis le début voulait partir, créant un vide qu’il fallait combler parce que cette série devait se tourner impérativement. Et en Nouvelle-Zélande, ce n’est pas comme s’il y avait beaucoup de choix donc j’ai eu le job. Je n’ai pas vraiment été promue, j’étais la meilleure option qu’ils avaient pour combler le vide. J’ai travaillé dur pour le mériter… ce qui veut aussi dire faire beaucoup de conneries avant d’y arriver. C’est le jeu quand t’apprends sur le tas, mais ça reste la meilleure façon d’apprendre. On peut t’expliquer dans tous les sens, tu ne sais rien tant que tu n’es pas en situation.
Au début du documentaire Double Dare, on vous voit effectuer une cascade pour Xena où vous êtes projetée dans les airs, retournée dans tous les sens, crashant une fenêtre, tout en étant en flamme… qu’est-ce qui vous passe par la tête dans ces moments-là ?
C’était à la fin de la série donc j’étais plus sûre de moi. Je pense surtout à la préparation dans ces moments-là, pas au fait que ça puisse être dangereux. Je fais confiance au reste de l’équipe, à l’équipement, aux répétitions… ça devient technique. Tu élimines le plus de risques possible et ça devient une question d’exécution technique. Je n’ai pas peur de mourir enflammée, je n’y pense même pas. La seule anxiété que je ressens au moment où ils crient « action » concerne ma performance. Je veux qu’ils obtiennent le plan qu’ils veulent parce que c’est mon boulot. Si j’ai peur d’être blessée, c’est que je ne fais pas le bon boulot.
Vous vous préparez mentalement d’une certaine façon ?
C’est drôle, je pense que oui, mais c’est un processus inconscient. Je n’aime pas trop rester seule avec mes pensées, donc je fais des blagues, je traîne avec l’équipe. Je préfère rester dans le mouvement, je m’isole peut-être dix minutes avant la mise en place, mais juste pour rester concentrée. En fait… la cascade, c’est un peu comme un groupe de rock. Tout le monde se focalise sur le chanteur, mais sans le reste du groupe, sans les lumières, il n’est plus qu’un mec qui beugle. Dans notre métier, il y a aussi le facteur sécurité. Ce n’est pas que respecter la vision artistique, mais aussi s’assurer que personne ne va se blesser.
Vous restez dans l’ombre…
Oui, absolument. Mais c’est mon métier !
Ça ne vous a jamais frustré ?
Non, jamais. Mais je n’ai jamais considéré que je valais moins que la personne que je doublais, tout comme le guitariste sait qu’il ne vaut pas mieux que le chanteur…
Certains chanteurs pensent sûrement le contraire…
Oui, et certains acteurs aussi… (sourire) Par exemple, si les gens pensaient que Lucy Lawless faisait toutes ses cascades, j’étais fière ! Si les spectateurs pensent ça, c’est que je fais bien mon boulot. Je ne suis pas devenue cascadeuse parce que je voulais devenir célèbre. Ça ne me dérange pas d’être le centre de l’attention parce que j’ai une grande gueule, donc doubler la star m’allait, quand je suis le centre de l’attention, j’essaie que tout le monde se sente bien, j’aime détendre les gens. Et c’est ce qui marche le mieux dans ce genre de situation.
Vous êtes toujours en contact avec Jeannie Epper, votre co-star du documentaire Double Dare (vétéran de la cascade, doubleuse de Wonder Woman version télé) ?
Oui, oui. Elle vit dans la Vallée et je vis à Venice, donc il arrive qu’on passe de longs moment sans se voir, comme c’est la coutume à LA, mais on se voit toujours, comme avec les autres intervenantes du film. À l’époque, je n’avais rien fait de tel, je n’avais pas eu l’occasion de voir ma vie se dérouler devant mes yeux sur un écran. C’était un peu embarrassant. Maintenant que je suis plus âgée, voir la jeune fille de 22 ans que j’étais, c’est touchant. J’arrive à me voir comme un personnage de film et non comme celle que j’étais la veille.
Le documentaire a un angle très prononcé sur la difficulté des femmes à percer et à perdurer dans ce milieu. C’est quelque chose qui vous parlait à l’époque ?
J’en ai beaucoup plus conscience maintenant qu’à l’époque. J’ai eu beaucoup de chance, et ma vie jusque-là m’avait préservé de ce genre de problématique, du sexisme. Et encore, ce n’est pas quelque chose que je ressens particulièrement aujourd’hui, ou alors peut-être, mais sans que je m’en aperçoive, des opportunités ratées, ce genre de chose. C’est venu à mon attention plus récemment, que ce combat n’est pas que le mien. J’ai toujours observé que les femmes avaient des dispositions différentes des hommes dans mon boulot, un état d’esprit différent, mais ceci étant dit, l’état d’esprit de n’importe quelle personne dépend avant tout de son expérience de vie. Ces différences sont complémentaires, et chaque fois que la société prétend le contraire et tente de les singulariser, elle se goure totalement. Si nous vivons dans un monde où les femmes metteur en scène ont moins d’opportunité ou sont moins soutenues dans leurs efforts, au final, c’est le spectateur qui est perdant.
Dans vos interviews, vous exprimez votre féminisme justement sous l’angle de l’égalité, ce qui reste rare dans le cinéma d’exploitation. En tant qu’actrice et productrice sur Raze, vous avez essayé d’éviter toute sexualisation, pour montrer que les combats pouvaient être aussi intenses qu’entre des adversaires masculins…
Ma première expérience de productrice m’a vraiment ouvert les yeux à ce sujet, parce que j’ai dû me confronter à ces questions de féminisme, de sexisme… Vous savez, certaines féministes ont adoré Raze, elles ont dit qu’on avait fait un commentaire sur les femmes… mais ce n’était pas le but non plus. À l’inverse, le film a été aussi taxé de sexiste, ces femmes retenues par des hommes, et j’étais genre WOW, vous y voyez vraiment ce que vous voulez… je suis confontrée à ces questions en interview, je n’y pense pas sur le moment, c’est en relisant que je me dis que j’ai un avis tranché sur la question. En tant qu’actrice, je suis amenée à – et ça me fait rire rien que de le dire – découvrir ma facette vulnérable, ma facette féminine, ma facette sexy, mes points faibles…
C’est ce que vous répétez en interview, vous souhaitez juste être reconnue comme une égale parce que vous aimez être une femme…
Exactement, j’adore me sentir femme et il y a en fait de la force dans cette « vulnérabilité ». Bon, Raze n’a pas plu à tout le monde, mais ceux qui se sont sentis touchés ont apprécié de voir cette femme se battre… « comme un homme », si vous voulez, mais il y avait un parcours émotionnel qui sonnait vraie.
Les combats racontent quelque chose. Comme dans Mad Max Fury Road, la première confrontation entre Charlize Theron et Tom Hardy…
Vous me donnez envie de le revoir direct, je ne l’ai vu qu’une fois mais je l’ai adoré. J’ai toujours une petite voix dans ma tête, parce que je parle le langage des cascades depuis si longtemps, comme si vous regardiez un film en anglais et que vous entendiez une voix française à l’arrière-fond. Mais ça ne me fait pas sortir de la scène non plus quand l’histoire tient le coup. J’apprécie vraiment quand l’action est utilisée comme un outil de storytelling. C’est la meilleure façon d’impliquer le spectateur et de rendre les combats efficaces, sauf quand vous faites des films à la Tony Jaa, où l’action est la beauté du film.
Vous avez été blessée deux fois au cours de votre carrière, comment vous gérez ces moments ?
Très mal (rire). Je n’emploie le mot blessure que lorsque ça me fait arrêter. J’ai eu des points de suture, des contusions, des fois où j’ai saigné, ce genre de chose où tu retournes bosser le lendemain. Je n’ai eu dû arrêter de travailler que deux fois. La première fois, c’était sur Xena, je me suis fracturée la colonne, ça m’a arrêté un moment. Je ne m’en souviens pas… je me rappelle de l’accident, du docteur qui me parlait de dix semaines de convalescence, mais je ne me rappelle pas être restée au lit dix semaines. Je ne sais pas si je l’ai refoulé parce que c’était déprimant, ou si je ne les ai pas faites parce que je suis têtue, mais je suis revenue au boulot. J’avais 19 ans, je cicatrisais rapidement, mon déni était très fort. Puis je me suis blessée à la fin de Kill Bill. C’était une fracture des os, et c’est plus vicieux, ça peut revenir, si en plus les ligaments sont dans la balance… j’ai été arrêtée un an, et j’ai très mal géré. Sur le moment, je me disais que ça allait, je suivais ma thérapie… je peux gérer la douleur, mais c’est l’aspect psychologique qui m’a échappé. Je n’ai pas voulu voir l’impact que ça avait eu sur moi : je marchais sur les mains depuis que j’avais cinq ans et là, je ne pouvais même plus ramper… J’étais sûrement terrifiée. J’ai toujours été Zoë la gymnaste, ou Zoë la cascadeuse, quelqu’un de physiquement actif, qui suis-je sans ça ? Comment je vais gagner ma vie ?J’étais seule à LA, livrée à moi-même pour la première fois, sans pouvoir bosser, en pleine crise d’identité… bon, je vivais près de la plage, avec de l’argent de côté et plein de temps pour moi, donc je me forçais à être heureuse de cette situation, pour ne pas voir que j’étais triste et terrifiée. J’avais 23 ans, et quand j’y repense, je me dis oooooooooooooh, je n’étais qu’une petite fille… J’aurais dû rentrer chez moi en Nouvelle-Zélande, avoir le support de ma famille et de mes amis. Je connaissais des gens à LA, mais juste depuis neuf mois, des collègues de tournage de Kill Bill. Et je suis plutôt quelqu’un qui fonctionne avec de très vieux amis, j’ai les mêmes depuis que j’ai trois ans… ces gens qui ne me connaissaient pas encore très bien pensaient que j’allais bien, tandis que les gens chez moi se seraient dit What the fuck ? en me voyant. Toute cette histoire, le documentaire Double Dare, l’audition pour Kill Bill, Quentin qui m’adore et soudainement blablabla… cette histoire est tellement parfaite, le conte de fée idéal,le destin en marche, et tout à coup cette blessure, cette plongée dans un trou noir… je ne pensais pas pouvoir revenir à la maison, c’est comme si je trichais en déviant de l’histoire. Je ne me suis pas laissé l’option de rentrer où j’aurais été en sécurité et protégée. Ça m’a pris plus ou moins un an pour guérir, le retour au boulot a été très dur, j’ai mis du temps à m’y remettre, en me demandant si j’avais toujours le niveau ou pas…
Comment décririez-vous votre première rencontre avec Quentin Tarantino ?
Je le vois avec son bandeau japonais autour du front… en fait, la première chose que je me suis dite, c’est « il ressemble à ce mec en peignoir dans Pulp Fiction ». Comme je vous l’ai dit, le cinéma, c’était pas mon rayon, mais Pulp Fiction était l’un de mes films préférés, enfin, un film que j’aimais bien, c’était pas très geek la Nouvelle-Zélande… mais je n’avais aucune idée qu’il l’avait réalisé. Je ne savais pas à quoi pouvait ressembler un réalisateur de films. Il m’a fait l’effet d’un gosse dans un magasin de bonbons. Excité, énergique, avec du mal à contenir son flot de paroles… je n’étais pas intimidée, j’aurais peut-être dû l’être si j’avais été moins ignorante, mais j’étais excitée d’être là. À la fin de l’audition, pas de pression, l’ambiance était détendue et amicale. Il avait l’air sincèrement content de me voir, comme il l’aurait été de n’importe qui. Mais j’étais à des lieux de penser que ça allait être le début de quelque chose, j’allais rentrer chez moi en Nouvelle-Zélande où on allait me payer des bières parce que j’avais auditionné pour Tarantino !
Vous connaissiez Yuen Woo-ping avant de travailler avec lui ?
Oui, je connaissais son nom, son travail, sans vraiment raccorder les deux. Je me suis renseignée une fois arrivée sur place, et j’ai réalisé à quel point j’en savais sur lui. C’était vraiment cette image du maître silencieux, tu donnes tout ce que tu as, tu te tournes vers lui pour savoir comment c’était, et il hochait la tête. Comme dans les films ! Je me défonce, je le regarde, il opine et je me dis « Yeah ! » (rires)
Vous avez doublé Sharon Stone sur Catwoman, dont la rumeur veut que le tournage était assez chaotique…
C’était mon premier job de retour de ma blessure, j’étais assez chaotique de mon côté… Du souvenir que j’en ai, je travaillais avec une bonne équipe, mais il y avait beaucoup de réécritures, donc la réalisation devait s’adapter comme elle pouvait dans ce chaos. Ça n’avait rien à voir avec moi, je suis plutôt douée pour éviter des situations envenimées. Pitof a sûrement beaucoup plus souffert que moi… Il y avait ce combat entre un artiste visuel super créatif engagé par un studio, et un casting de talents qui ne se sentaient pas à leur place, je me rappelle m’être dit sur le plateau que c’était l’exact opposé d’un tournage de Quentin… Mais encore une fois, ça ne me touche pas tant que je peux faire du bon boulot.
Vous avez commencé votre carrière d’actrice sur Death Proof, ça vous a semblé une évolution naturelle ou pas ?
Un peu des deux. À la base, j’ai regardé Quentin en lui disant « qu’est-ce que tu veux que je fasse de 40 pages de dialogues, je n’ai même pas l’habitude de me montrer à l’écran, mon truc c’est de me cacher ?! ». Techniquement parlant, c’est une évolution naturelle. C’était très dur, mais le plus dur a été de me dévoiler. Je suis une dure, on ne m’a jamais vu vulnérable, on ne m’a jamais vu pleurer, avoir mal, peur, et un acteur doit exprimer tout ça. J’avais beaucoup de pression pour accomplir quelque chose que je n’avais jamais fait et ne pas planter le film, mais j’avais d’incroyables sparring partners et Quentin. On est tous restés potes.
Et le fait que le rôle soit plus ou moins inspirée de vous, est-ce que ça a aidé ?
Maintenant que je suis actrice, je pourrais répondre à votre question si je jouais ce rôle maintenant, mais à l’époque je n’avais aucun point de comparaison. Si j’avais dû jouer un bad guy ou un mafieux russe, j’aurais été tout aussi terrifiée. Prendre les mots d’un autre et les réciter comme si c’était les vôtres… c’est ce que j’essaie de faire au mieux aujourd’hui. Être sincère devant une caméra est ce qu’il y a de plus difficile.