ASSASSIN(S) de Mathieu Kassovitz

Post-gamin d’une famille mono-parentale à la ramasse dans son pavillon banlieusard, Max s’emmerde. Tout ce qu’il trouve à faire, c’est un stage à vocation d’insertion professionnelle – en gros, il perce des trous au chalumeau, avec pour seul espoir d’être un jour payé. La nuit, il larcine des VHS au supermarché du coin avec son pote Mehdi. Lors d’un raid nocturne, il croise monsieur Wagner, petit vieux a priori propre sur lui. Max retourne chez lui, enfourne la vidéo surveillance piquée sur place : un couple d’employés baise dans un local. Wagner débarque et interrompt le coït de plusieurs balles dans le corps des amants. Max peine à contenir son horreur mêlée de fascination. Faute de descendance, le vieux tueur enseignera les rudiments de son métier transmis de père en fils au jeune chômeur, lequel, rendu amorphe par des heures quotidiennes de télévision au fumet de THC, ne sait plus trop faire la part des choses.

Monsieur Wagner (Michel Serrault) en goguette

Circa 1995-1996, Mathieu Kassovitz donne l’impression de pouvoir ressusciter le cinéma français à lui tout seul. Comme acteur, il sublime le meilleur film de Jacques Audiard, Un héros très discret, juste après avoir décroché le César du meilleur espoir masculin pour Regarde les hommes tomber, du même réalisateur. Sa deuxième mise en scène, La Haine, est un triomphe public ET critique, un véritable phénomène de société. Le pamphlet devient peu à peu un objet de mode. Dépassé par l’ampleur de sa création, Kassovitz finit par tourner le dos aux médias pour ne pas se laisser récupérer. Fatale erreur. Deuxième crime de lèse-majesté, son film suivant, adaptation en long-métrage de son court Assassins (1992), porte en son sein une critique radicale des médias, de la télévision en particulier, véritable personnage à part entière d’un film où elle est quasiment toujours là, en arrière-fond, chamane débilitant de personnages en perdition. La presse aurait pu relire Bourdieu, elle a préféré ne pas. Sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 1997, Assassin(s) s’y fait démonter quasi unanimement. Il est déjà arrivé à de multiples reprises qu’un film soit fraîchement accueilli à Cannes (remember l’hilarant The Last Face pas plus tard que l’an dernier), il est beaucoup plus rare qu’un metteur en scène s’y fasse systématiquement huer en conférence de presse au point de ne plus pouvoir parler. Difficile de ne pas y voir une revanche pour le moins mesquine, et en tout cas le point de départ de la relation conflictuelle (*tousse* EUPHEMISME *tousse*) entre Kassovitz et les médias.

Une réaction très mitigée à la projection cannoise

La presse a bien fait le boulot. Comme pour mieux feindre de ne pas y voir son monstrueux reflet, elle a achevé de 72 balles dans la tête un film à terre, aussi malade de ses ambitions que fiévreux d’une inventivité bien plus marquante qu’on a voulu le faire croire. Quoi qu’on puisse penser du film, Assassin(s) contient des idées de mise en scène à faire blêmir les formalistes et douter les contempteurs de la maestria, suspecte, forcément suspecte pour les défenseurs d’une certaine idée du naturalisme. Ce plan, en mouvement physique et temporel, de Max en planque devant chez Wagner. Ce plan-séquence fou « à travers le miroir », au cœur de la scène, démente et traumatisante, de « formation » de l’apprenti tueur. Ces compositions de cadre baignées dans la lumière crue de Pierre Aïm. Ce montage parfait sur les thèmes musicaux de Carter Burwell, mélodies insidieuses qui rentrent dans le crâne pour n’en jamais sortir. La tête de mort dans la fumée, la queue de démon de Michel Serrault, la parodie gore de sitcom, cette avalanche de symboles à même de rendre fous les sémiologues (zyeutez l’origine étymologique du mot assassin, puis le rituel de Max et Mehdi avant chaque meurtre).

Selon le coscénariste du film Nicolas Boukhrief, venu présenter une séance du film au festival lyonnais Hallucinations Collectives en 2013, le script a été remanié de fond en comble faute de budget suffisant, le tournage accommodé en fonction des disponibilités de Michel Serrault. Au final, Mathieu Kassovitz n’aurait réalisé que la moitié du film qu’il avait en tête. Les limites sont atteintes dans certaines scènes objectivement moins réussies, dans le jeu fragile du jeune Mehdi Benoufa (disparu des écrans depuis), dans le dernier acte, plus relâché en termes de rythme. Pour le reste, Assassin(s) reste sans nul doute l’un des plus grands films français Chaos des années 1990. Le revoir aujourd’hui, vingt ans après la controverse biaisée, permet d’en apprécier le discours si ce n’est totalement visionnaire, du moins d’une justesse troublante sur les clivages générationnels, l’impact irrémédiable du divertissement de masse et autres considérations sociétales toujours valables aujourd’hui, de façon assez flippante, même. Surtout, le film hurle d’un bout à l’autre le talent insolent de son metteur en scène, qui nous manque tellement aujourd’hui.