Intersectionnalité des voix. La réalisatrice Amandine Gay a recueilli les témoignages d’une dizaine de femmes noires. Lesbiennes, hétéros, croyantes, athées, traductrice, comédienne, danseuse burlesque, le film les écoute relater leurs parcours respectifs, en autant de récits de luttes pour simplement vivre au mieux, contre la stigmatisation et la différenciation dans une France loin, très loin d’être guérie de son passif colonial et de son gros actif de racisme systémique.
Don de parole. Je vous vois, renâcler à l’amoncellement de mots-clés militants disséminés sournoisement dans le texte, trigger-warnés tels des éditorialistes hantés par le complot droit-de-l’hommiste de la bien-pensance en bande organisée – autant prévenir, ce film contient des images d’Edwy Plenel, où il ne dit rien, certes, mais quand même. Militant, le film d’Amandine Gay l’est bien évidemment de par sa simple existence, depuis le refus d’aide du CNC qu’il a essuyé, en passant par son financement autonome via le crowdfunding, jusqu’à sa sortie sur trop peu d’écrans, trois ans après la première prise de vue. Il l’est nécessairement par la personnalité de sa réalisatrice, afro-féministe revendiquée passée derrière la caméra après une courte expérience de comédienne, où elle a pu constater le manque d’égalité des chances aux auditions ou dans l’éventail troué de rôles proposés aux jeunes femmes noires. Un thème que l’on retrouve d’ailleurs traité dans le film, en un prolongement du travail tout aussi glaçant d’Alice Diop dans son documentaire La Mort de Danton. Ceci étant précisé, Ouvrir la voix est plus un film du don de parole que de la prise de parole.
Engagé par essence, le film révèle en premier lieu des individualités touchantes, pertinentes. Des êtres humains avant tout, militantes contraintes par leur couleur de peau, leur féminité, leur sexualité. L’impressionnant travail de montage rapproche les récits sans jamais forcer leurs correspondances : les thématiques se recoupent d’une histoire l’autre avec un naturel confondant et nécessairement déstabilisant dans ce qu’il raconte de la société française contemporaine, engoncée dans des clichés profondément aliénants pour ses victimes, dont les auteurs, bien souvent, ne voient même pas le mal. La prédominance des gros plans sur les visages bouscule l’empathie, crée une proximité troublante avec les interviewées ; quand la caméra s’éloigne pour les capter dans des moments de vie, le sentiment « d’ouverture » ne se livre jamais clé en main – on n’est pas chez Xavier Dolan. Le statut de « film nécessaire », l’aridité esthétique de son dispositif peuvent intimider, ce serait dommage : au-delà de l’indispensable manifeste, Ouvrir la voix est avant tout un excellent documentaire, le résultat d’un travail assez fou pour rendre son contenu lisible, éclairant et jamais redondant.