Ça ne suffisait pas à Michael Moore d’avoir tué le documentaire, il lui fallait à présent jouir dans la bouche de son cadavre. Rappelez-vous ce grand moment de gêne, à la fin de Sicko (2007) lorsqu’il interrogeait des bourgeois français sur leurs conditions sociales paradisiaques, leurs vacances grassement payées par le gouvernement.
Moore s’était déjà laissé aller à des rêveries d’ailleurs en molle conclusion de Bowling for Columbine, révélant sa prédilection consternante pour le sophisme. Les Canadiens ne voient pas de violence dans leurs journaux télévisés, ils ont donc moins de tueries de masse. Le gouvernement français envoie ses employés faire la lessive des jeunes parents, et ces derniers sont donc plus détendus et productifs. Génial ! Toujours plus loin dans l’édification des masses, Michael Moore applique ce genre de raisonnement à l’échelle d’un film entier de 2h, Where to invade next, sur nos écrans de la tolérance en septembre prochain.
Son running gag est imparable : à la fin de chaque visite, il plante un drapeau américain dans le sol, mise en abyme ASTUCIEUSE de l’impérialisme conquérant de ce pays qui aurait tant à apprendre des autres cultures. Regardez, en Italie, les salariés reconnaissants ont tellement de vacances qu’ils ne savent plus quoi en foutre. En France, les diététiciens élaborent les menus de toutes les cantines du territoire. En Allemagne, on apprend aux gosses à avoir honte de leurs ancêtres nazis. En Norvège, les prisons sont des villages à ciel ouvert, où l’on donne des couteaux de cuisine à des meurtriers. En Islande, les banquiers responsables de la crise ont été traduits en justice. Et à chaque fin de visite, Michael plante le drapeau américain dans le sol et blague avec ses interlocuteurs. «Ah ah, on va vous envahir et vous piquer toutes ces bonnes idées!». LOL, Michael. LOL.
Vous n’en rêviez pas, Michael Moore vient pourtant de créer l’adaptation cinématographique d’une timeline de réseaux sociaux, avec ses articles de merde venus d’agrégateurs à la con. Sauf qu’à côté, les rédacteurs de Konbini ou de Topito méritent presque le prix Albert Londres. Moore ne recule devant aucune exploitation de cliché sur les pays visités («La France, comme toujours, n’opposait pas de résistance» PTDR, Michael, PTDR), il se montre occasionnellement aussi condescendant que les politiciens américains qu’il aime tant fustiger sur leurs a priori.
Dans cette compilation guidée par le bon sens près de chez vous, il y a bien quelques informations fiables et conseils censés, mais ils sont noyés dans une nasse de mauvaise foi, de malhonnêteté intellectuelle défendue sur le site officiel du film par des liens vers des pages Wikipedia – ce qui est par ailleurs un bon indicateur d’où en est rendu le journalisme aujourd’hui. Dans le meilleur des cas, Michael Moore est un agent double, infiltré dans la sphère contestataire pour la décrédibiliser de l’intérieur. Dans le pire, c’est un homme d’affaires suffisamment cynique pour exploiter la colère des plus faibles en leur faisant miroiter une herbe plus verte. Quoi qu’il en soit, il prend vraiment ses spectateurs pour des abrutis.